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  • Pauline Savéant

Camus, Daoud et l’absurde : les romans coups de cœur de PEPA


Tirée de la BD de Jacques Ferrandez d’après l’œuvre L’Etranger d’Albert Camus

Après avoir fait un tour du côté du photoreportage, des musiques du monde et des chaines Youtube, je vous propose cette semaine une sélection de mes coups de cœur littéraires.

Je voudrais commencer par vous parler d’un roman, que vous connaissez tous, et qui m’a personnellement marqué il y a quelques années : L’Etranger d’Albert Camus. C’est un classique, me direz-vous, qui est régulièrement étudié pour le bac de français. Peut-être que certains en gardent un mauvais souvenir. Ne restez pas sur ce sentiment ! Ce roman mérite qu’on lui donne une seconde chance. Si je l’apprécie particulièrement, c’est parce qu’il traduit parfaitement la philosophie camusienne de l’absurde. Qu’on adhère ou pas à la vision du monde portée par Camus, ses romans nous invitent à questionner notre condition humaine. Selon moi, L’Etranger peut se résumer à une question : quel est le sens de l’existence ? Cette quête est celle de Meursault dans le roman, qui mène une vie plutôt monotone et n’a goût à rien. Il va finalement commettre un meurtre, et il sera jugé et condamné parce qu’il refuse de comprendre et d’appliquer les normes que la société lui impose. C’est un personnage atypique, qui refuse la servitude imposée à tout être humain, une sorte d’anti-héros auquel on s’attache et presque s’identifie malgré le meurtre qu’il a commis. Ce roman a été publié en 1942, mais pour moi il porte des thèmes qui sont profondément contemporains. Dans une société très normée qui nous dicte des codes, des règles à suivre aussi bien sur notre manière d’être, que sur notre apparence et même sur notre manière de penser, L’Etranger est un exemple de « révolte » pour reprendre la philosophie de Camus. L’homme est pleinement libre quand il arrête de chercher un sens à son existence. Je pense que Meursault peut être perçu comme un modèle, non pas par ce qu’il a fait, mais parce qu’il arrive à être lucide sur sa condition d’être humain et s’en libère.

« Il a déclaré que je n'avais rien à faire avec une société dont je méconnaissais les règles les plus essentielles et que je ne pouvais pas en appeler à ce cœur humain dont j'ignorais les réactions élémentaires. » L’Etranger

Donc à la question « quel est ton roman favori ? » je réponds toujours L’Etranger. Ainsi, il y a quelques mois, quelqu’un m’a conseillé de lire La mort heureuse d’Albert Camus car « si tu as aimé L’Etranger, tu ne peux que l’adorer ! » Camus a écrit ce roman entre 1936 et 1938. Pendant l’écriture de La mort heureuse est venue à Camus l’idée de L’Etranger. Cette œuvre de jeunesse a été publiée à titre posthume et elle laisse entrevoir un auteur qui se cherche, ce qui est particulièrement touchant pour ceux qui comme moi apprécient énormément L’Etranger. Il y a plusieurs éléments communs entre les deux romans : dans La mort heureuse, le personnage principal s’appelle Patrice Mersault et il a commis un crime… Mais ce n’est évidemment pas la même histoire. Cet ouvrage inachevé comprend certains éléments biographiques de la vie d’Albert Camus, absents dans L’Etranger : sa tuberculose, son voyage en Europe centrale, sa jeunesse pauvre… La mort heureuse accorde aussi beaucoup plus de place à la communion avec les éléments naturels, mais aussi aux thèmes de la richesse, de la solitude et du bonheur. Car l’homme qui cherche absolument à donner un sens à son existence, n’est-il pas finalement heureux que lorsqu’il est enfin lucide du non-sens de la vie alors que la mort arrive ?

« Le bonheur impliquait un choix et à l'intérieur de ce choix, une volonté concertée, et lucide. » La mort heureuse

Je veux aussi vous parler de Meursault contre-enquête : ce titre fait directement référence au personnage principal de L’Etranger. J’ai adoré ce roman dans lequel Kamel Daoud a imaginé la destinée d’Haroun, le frère de l’arabe tué par Meursault dans L’Etranger. Mais comme dans La mort heureuse, le parallèle se fait, de plus en plus flagrant au fil du roman, entre Meursault et le personnage principal: l’ennui, l’errance, la mer, la figure maternelle et plus encore... La colère d’Haroun contre le meurtrier de son frère s’y exprime en confondant Camus avec Meursault, l’auteur et le narrateur. Au-delà de celle d’Haroun, c’est celle de Kamel Daoud qui est exprimée dans ce roman. Il analyse la société algérienne après l’indépendance. Il critique la place que prennent le récit national et l’enseignement du Coran, le fait que ceux qui les transmettent disent détenir la vérité. Découvrir la vision d’un Algérien sur le pays dans lequel il a grandi m’a intéressé. En effet, l’auteur donne son avis sur les mentalités, le régime actuel mais aussi sur l’héritage de la guerre d’indépendance. Il nous offre une vision du monde et de l’existence différente que celle portée par Camus de son temps, ou d’autres auteurs de l’existentialisme qui ont un point de vue européocentré. Daoud a proposé sa propre lecture et interprétation de l’œuvre de Camus, mais en se plaçant du côté des Algériens. Et selon moi le parallèle a été particulièrement bien introduit. Je pense ainsi que Meursault contre-enquête est avant tout un roman engagé qui exprime une colère contre la colonisation, sa violence et ses injustices. Il rappelle l’indifférence dont les Français et les pieds noirs ont fait preuve envers celui auquel Camus n’a pas donné de nom : l’Arabe.

« Il ne l'a pas nommé, parce que sinon, mon frère aurait posé un problème de conscience à l'assassin : on ne tue pas un homme facilement quand il a un prénom. » Meursault contre-enquête

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