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  • Pauline Savéant

Dans les coulisses de nos journaux quotidiens régionaux

Elle nous est familière, pourtant ses rouages internes nous échappent. La plupart d’entre nous s’arrêtent à l’information qu’elle nous offre, sans se questionner sur son fonctionnement. Pourtant toutes sortes d’enjeux entourent les tirages des grands titres de la Presse Quotidienne Régionale (PQR). Avec une perte de vitesse du tirage papier et un virage nécessaire vers le numérique, cette presse locale garde malgré tout un lectorat assez conséquent. Mais comme le dit très justement Denis Sieffert, directeur de Politis (journal d’information hebdomadaire bi-media, indépendant et engagé) « la presse vit d’une perpétuelle contradiction. Elle est à la fois un pilier de la démocratie et un commerce ». Et cette presse locale semble ne pas déroger à la règle... S’agit-il alors de plaire aux citoyens ou aux financeurs et annonceurs ?


La PQR se tient au plus près de son lectorat. Concrètement cela correspond à un système décentralisé des rédactions. En effet, l’aire géographique de chaque journal local est vaste. Par exemple, La Provence est éditée pour les départements des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse, des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes. Mais plusieurs éditions sont présentes sur ce territoire : celle du Pays d’Aix, de Marseille, d’Avignon, des Alpes… Il s’agit à chaque fois du même journal composé des pages communes, auxquelles s’ajoutent des pages dites « locales » qui informent précisément sur l’actualité des villes et villages du territoire concerné. Ce système est très cohérent puisque chaque zone géographique a ses propres spécificités et problématiques. L’espace rural des Alpes-de-Haute-Provence ne possède pas les mêmes réalités sociales, économiques et culturelles que la ville de Marseille par exemple. Les journaux remplissent alors un vrai rôle social, voire citoyen.


En revanche, les choix de la presse régionale seraient à « contre-courant » de la dynamique prise par la société française : le lectorat fidèle de ces journaux serait vieillissant et ces derniers peineraient à séduire un public jeune et urbain. Beaucoup de titres ont assez bien réagit face à ce constat et aujourd’hui il est évident que la presse régionale est en pleine mutation. Des efforts ont été faits sur la communication et la diffusion des articles via les réseaux sociaux. Les journaux ont aussi leur propre site internet où paraissent des articles gratuits, et certains payants. Pour la plupart des titres de la PQR, ces sites se veulent fluides et faciles d’accès avec une mise en page élaborée pour attirer le plus d’internautes possibles. C’est pourquoi le nombre de lecteurs ne diminue pas forcément, ou du moins pas de manière significative sur le court terme. C’est bien différent en ce qui concerne le nombre de tirage papier sur un temps plus long…


Les pages du journal diminuent, tout comme le nombre de journaux vendus. La pagination des titres de la PQR change. Le micro-local, appelé parfois « pages villages » ou « pages quartiers », en paye les conséquences. En effet pour plusieurs éditions, ce sont ces informations-là qui sont sacrifiées faute de place. Il ne s’agit pas encore d’une disparition totale et certaines éditions résistent pour conserver un nombre décent de pages pour le micro-local. Mais comment s’explique cette mutation dans la pagination de ces journaux de proximité ?


Entre publicité et uniformité


La publicité a toujours été une des sources de revenus principales pour les journaux : des annonceurs payent pour avoir un encart publicitaire dans les pages. Au sein des rédactions, les journalistes et les commerciaux de la pub ont un travail complémentaire. Des emplacements pour la publicité sont réservés avant même que les journalistes locaux interviennent dans les pages. La priorité est-elle donc donnée à la pub ? L’espace est en grande partie « amputé » pour ce service de communication et les journalistes doivent composer avec, c’est-à-dire adapter les articles à paraître en fonction de la place qui leur est laissée. Un dialogue constructif existe cependant : les journalistes sont régulièrement en position de négocier pour commander des pages sans publicité, pour déplacer un encart d’une page à une autre, voire d’en commander s’ils n’ont pas assez d’actualités pour remplir le journal !


C’est bien là un autre impératif des quotidiens : être toujours bien fourni. Les journaux sont évidemment alimentés par les journalistes. Le localier est celui qui exerce dans une agence locale dépendante mais décentralisée de l’agence régionale : par exemple le localier travaillant au Midi Libre à Lunel (34) dépend de l’agence-mère située à Montpellier. De manière général, le localier doit respecter la ligne éditoriale, et quelques fois, des directives communes à toutes les éditions d’un même journal. Les chartres déontologiques garantissent tout de même une grande part de liberté d’expression.


Malheureusement, les articles produits par les localiers des différents journaux et éditions tendent de plus en plus vers une uniformité. En raison de l’organisation médiatique contemporaine, gérée par une poignée de milliardaires ou d’hommes aux intérêts politiques très marqués, l’information sérieuse est sélectionnée et produite dans le but de vendre. Ainsi les mêmes thèmes reviennent souvent dans les pages de nos journaux quotidiens. Le pluralisme est mis à mal alors que nous évoluons dans un monde complexe qui nécessiterait beaucoup plus de diversité dans les opinions et les sujets traités. Il ne s’agit pas de choix personnels venant des journalistes eux-mêmes, mais d’une politique médiatique et financière beaucoup plus large qui les dépasse la plupart du temps.


Le pluralisme semble pourtant faire de la résistance dans la PQR, ou du moins de manière plus franche que dans la PQN (Presse Quotidienne Nationale). La cause ? Un réseau solide de correspondants. Ce ne sont pas journalistes, mais grâce à eux l’actualité de l’ensemble du territoire est correctement couverte. Ils sont implantés à une échelle micro-locale (un village, un quartier) et écrivent à propos d’évènements se déroulant à proximité. Leur travail est géré par les journalistes de l’agence locale dont ils dépendent, plus particulièrement par le secrétaire de rédaction. Ce statut de correspondant garantie une alimentation en sujets divers et variés pour le journal. Comme ils ne sont pas des journalistes professionnels, ils ont leur propre approche de l’écriture, de la recherche et de la production de l’information. Et cette diversité est estimée par les localiers.


L’implication complémentaire des correspondants et des journalistes fait du journal celui de tous. Ce système connaît cependant une efficacité moindre en territoire urbain : les chiffres des ventes et du lectorat sont plus bas. L’enjeu est alors de rallier le plus de monde possible, souvent au dépend du pluralisme caractéristique de la PQR. Les sujets choisis peuvent être très consensuels pour parvenir à séduire le plus grand monde, ou au contraire pour viser un public bien particulier, les jeunes urbains par exemple.


De la diversité au niveau régional


D’autres types de médias donnent à voir des informations sur l’actualité locale. Ce ne sont pas forcément des concurrents pour les titres de la PQR qui demeurent dans tous les cas les plus vendus sur le territoire. Mais ces journaux, chaînes de télévision ou radio alternatifs implantés à une échelle micro-locale peuvent avoir la prétention d’attirer un public jeune et plus urbain, contrairement à la PQR. Souvent ces médias alternatifs s’adressent à un public un peu restreint, ce qui répond à une ligne éditoriale bien différente des journaux locaux traditionnels. C’est le cas par exemple de Radio Grenouille sur les ondes marseillaises qui informe sur l’actualité sociale et culturelle, avec un accent humaniste voire politisé à gauche assumé.


Ils survivent plus difficilement que les journaux régionaux, qui sont « protégés » par le soutien financier d’annonceurs influents et de plusieurs institutions de l’Etat. Ce qui n’est pas forcément le cas des médias alternatifs. Ils doivent plus régulièrement démarcher, établir des partenariats et même faire des appels aux dons pour maintenir le navire à flot. Leur liberté d’expression, d’opinion ainsi que le pluralisme des sujets traités semblent être moins entachés que les titres de la PQR, ce qui leur vaut l’appellation de « médias alternatifs ». En effet, ces derniers regorgent de sujets originaux en lien avec des initiatives très personnelles des journalistes. Ce choix éditoriaux sont différents des articles consensuels proposés par la PQR, qui justifie cela en disant que « ça plait à tout le monde » ou « c’est quelque chose qui se fait chaque année ». Certains diront que les journaux régionaux tombent un peu trop souvent dans la facilité, et que les médias alternatifs sont plus ouverts sur le monde…


Quoi qu’il en soit ces deux manières de faire du journalisme peuvent être très complémentaires, ce qui permet à l’actualité des régions d’être traitée en quasi-totalité. Si l’argent apparaît trop régulièrement comme une barrière à cette liberté, les efforts

personnels des journalistes locaux réussissent plus ou moins à surmonter cet obstacle pour offrir un débat aux citoyens.

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