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Pauline Scié

Rencontrez Seyni Awa Camara, mère aux enfants d'argiles


« La potière de Casamance », « la magicienne de la terre », « une artiste hors du commun » sont quelques-unes des expressions utilisées pour désigner Seyni Awa Camara, une sculptrice sénégalaise mondialement reconnue.

Ce sont ses sculptures, pleines d'émotions qui ont retenu mon attention. Ces statuettes de femmes dont le corps est surmonté d'enfants, la métaphore de l'enfantement par le travail de la terre, et sa perception de la maternité qui marque une grande partie de ses œuvres. Face à ces statues, parfois impressionnantes par leur taille, je me suis retrouvée confrontée au mystère en découvrant l'artiste, la femme et son art.


Née dans les années 1940, elle grandit entre Djivente et Ossouya dans la région de la Casamance au Sénégal. Issue d'une fratrie de triplés, enfant, elle aurait disparu avec ses jumeaux dans la forêt pendant plusieurs jours jusqu'à ce que l'on cesse de les chercher. A son retour, elle aurait tenu entre ses mains des boules de terre, et c'est après cet événement qu'elle aurait commencé le travail de l'argile.

Toute sa famille a, et fait encore, de la poterie selon des savoirs-faire ancestraux. Cet héritage familial lui a été transmis par sa mère, mais c'est seule qu'elle a forgé son art. Laissant de côté les codes traditionnels, sans renier les coutumes, Seyni Awa Camara a donné vie à son histoire grâce à ses sculptures et ses « montres d'argile ». Sous ses mains se forment des figures humaines, animales, des personnages énigmatiques hilarants ou terrifiants. Autodidacte, il n'y aura pas de continuation après elle, elle se trouve ainsi « obligée d'accompagner mon travail jusqu'à la fin de mes jours » comme elle le livre dans le film réalisé par Jesùs Ahedo, Entre los Elementos, de 2011


Son travail évoque en premier lieu la maternité et la sexualité qui sont deux thèmes marquants de sa vie. Son enfance marqué par la légende, ses multiples grossesses toutes difficiles, et les divers enfants qu'elle a élevé sont autant de clefs pour appréhender ses œuvres. La poterie agit comme une thérapie et un exutoire pour évoquer ces sujets personnels. Les statues semblent toutes habitées, Seyni Camara dit ainsi elle-même « mes œuvres ne sont pas pensées pour plaire, mais elles sont le fruit d'une inspiration magico-divine ».


Le lien avec la terre, considérée comme sacrée, l'effort fournit pour aller chercher la matière première, lui donner forme, puis cuire ses sculptures, tranchent avec les expositions internationales et les visites que lui rendent les marchands d'art. Vivant encore dans son village et demeurant dans la même maison, la liaison avec le monde extérieur est gérée par les fils de ses coépouses qui l'assistent tout autant dans les étapes de la création, de vente ou de traduction.

Hors du temps et inclassable sont les qualificatifs qui reviennent pour décrire ses travaux. Mais ses débuts n'ont pas été faciles. Ses premières œuvres sont considérées comme maudites dans son village de potier où elle rompt avec la tradition en donnant un nouveau sens au travail de l'argile. Après avoir cuit les statues, elle les entrepose dans une pièce noire fermée. Ce n'est qu'avec sa renommée grandissante que son stock est découvert et dépasse les marchés habituels sur lesquels elle les vendait. C'est au début des années 1980 que Seyni Awa Camara rentre dans les radars du monde de l'art. Mais c'est réellement avec l'exposition « Magicien de la terre » du Centre Pompidou de Paris de 1989, qu'elle y entre. Cette sculptrice mystique se retrouve en adéquation avec une certaine vision de l'Afrique entretenue à cette période. L'aura de mystère autour de sa vie, de son histoire est, encore maintenue de nos jours.

Elle connaît la consécration quand elle est invitée à exposer lors de la 49ème Biennale de Venise en 2001. Depuis, ses œuvres font le tour du monde, et se sont notamment faites une place aux États-Unis et en l'Europe.



Seyni Awa Camara a fait l'objet de nombreux films et documentaires, et notamment Giving Birth de la réalisatrice Fatou Kandé Senghor qui date de 2015. Ce dernier retrace sa vie, de son premier mariage et de ses difficultés à enfanter des êtres de chairs et de sang, au moment de création de ses autres enfants d'argiles. À travers son reportage, Fatou Kandé Senghor interroge sur le statut de la femme stérile et de l'artiste. Dans une interview de mai 2015 accordée au site IAM, Fatou Senghor raconte que son travail « prend souche dans la mémoire mystique qui est imperceptible, mais pour laquelle j'ai choisi un corps dans le temps présent pour resurgir ». Ce corps est celui de Seyni Awa Camara, la réalisatrice conclue que « bien qu’elle soit une actrice de son époque [...] ses créations questionnent la notion de la transmission d’un acquis qui se positionne dans le présent et nous aide à construire l’avenir. Nous ne pouvons pas compter sans ce passé que nous essayons en vain de supprimer en faisant l’impasse par exemple sur la colonisation et en admirant les êtres globalisés que nous sommes ».



 

Crédit photo

Photo de couverture issue du documentaire Giving Birth de Fatou Kandé Senghor, 2015

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