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  • Elvire Colin-Madan

Étudiants religieux, quels impacts a la religion sur votre vie étudiante ?

À cette question que j’ai postée en ligne il y a deux semaines, 19 jeunes étudiants, entre 19 et 28 ans, m’ont répondu. Dans ces 19 personnes, on retrouve 8 chrétiens, 5 juifs, 5 musulmans et 1 bouddhiste. 2 étudiants ont décidé seuls de pratiquer leur religion, tandis que les autres en ont hérité par leur éducation. Ce que j'ai voulu dégager avec ce questionnaire, ce sont les différentes conséquences d’une pratique religieuse sur les vies étudiantes. À l’aide de ces nombreuses réponses anonymes, j’ai essayé de déterminer le lien entre la religion et la société actuelle et d’établir un rapport entre la religion et les établissements laïques d’enseignement supérieur.



La religion chez les jeunes, en pleine décroissance ?


Le questionnaire (que vous pouvez retrouver ici) s’adresse à une jeune génération croyante qui est assez peu mise en valeur dans la société actuelle. Lorsque j’ai posé la question de la présence de la religion chez les jeunes, la réponse unanime était qu’elle est beaucoup moins présente dans nos vies maintenant qu’aux autres époques. Un/une jeune de 21 ans, catholique précise « La religion est moins présente que dans les anciennes générations. En grande partie parce qu’elle est remise en cause par la science. On a accès à d’autres possibilités/réponses de notre existence qui paraissent plus plausibles pour les jeunes. Ils sont en quête de preuves, d’indices, de faits. La spiritualité a perdu un peu sa place. » D’après la jeune bouddhiste de 20 ans, « De nos jours les jeunes hésitent moins à marquer leur indépendance vis-à-vis de leur famille, et leur appartenance à d’autre groupes ou d’autres causes politiques. » Enfin, un/une jeune pratiquant(e) judaïque de 19 ans nous donne sa vision des choses : « Je pense que les générations précédentes avaient plus de facilité à pratiquer la religion. De plus, le judaïsme est une religion des plus difficiles à pratiquer car non seulement ça coûte cher (la cacherout à un coût élevé, le fait d’avoir 2 éviers, deux vaisselles etc.), mais il y a également l’accessibilité dans les petites villes : c’est à dire que l’on ne trouve pas des boucheries cacher à tous les coins de rues. Enfin, il y a le fait que la religion demande de se couper du monde certaine fois et ce n’est pas évident car pour certains individus le travail, les révisions d’examens... tout cela est problématique. »


Quelles pratiques pour ces jeunes étudiants religieux ?


Cependant, 12 des 19 jeunes ont répondu que la religion avait un impact sur le rythme de vie. Par exemple, 10 de ces étudiants spécifient qu’ils pratiquent la prière régulièrement et 6 des 8 chrétiens vont à la messe/au temple le dimanche. Les investissements divergent ; l’un fait par exemple des dons dans des associations catholiques, alors qu’un autre participe à des débats hebdomadaires autour de relations sociétaires et religieuses. Pour une jeune chrétienne de 20 ans qui a connu la foi dès son plus jeune âge, « La foi, cela se vit au quotidien : croyant non pratiquant n’a pas de sens pour moi, car adhérer vraiment à une cause signifie y investir du temps et des réflexions, aussi souvent que possible, même si c’est dur de se poser, entre les études, la vie familiale etc. J’ai l’habitude depuis mon enfance de prier, à toute heure, quand j’en ressens le besoin, que je sois heureuse ou triste. » La jeune bouddhiste précise « c’est plus une influence sur mon état d’esprit, que sur mon emploi du temps. Ma participation dans l’organisation d’un groupe de jeunes bouddhistes impact mon rythme de vie, mais pas de manière dissimilaire à n’importe autre activité extrascolaire. » Chacun donc participe à la vie religieuse à sa manière.


Peut-on concilier vie sociale et vie religieuse ?


Pour ce qui est de l’impact dans la vie collective, les réponses sont mitigées : pour 9 des personnes qui ont répondu au questionnaire, la religion n’a pas de conséquence sur leur vie étudiante. Ça ne les empêche pas de sortir avec leurs amis par exemple. Une jeune catholique de 20 ans pense qu’elle a « la mentalité qui va avec ma religion, en toute cohérence...je ne me "prive" donc de rien en soi, mais je fais "au mieux" d'un point de vue chrétien (je sors avec mes amis, mais je ne vais pas en boîte par exemple, je n'aime pas ça) ». 4 personnes ont répondu que oui, leur religion impactait leurs sorties avec leurs amis. Par exemple, un/une jeune de 23 ans, catholique précise qu’elle ne sort pas pendant la semaine sainte. Deux pratiquants juifs ne sortent eux aussi pas le vendredi soir. Enfin, 6 personnes ont répondu que cela impactait parfois leurs sorties, mais que non la plupart du temps. Il y a des fêtes religieuses à respecter, des interdits alimentaires, ou encore des principes qui vont à l’encontre des religions (comme le sexe, la drogue, et l’alcool). Cela peut faire éviter pas mal de soirées, afin de ne pas « pêcher ». C’est le cas pour une chrétienne de 22 ans qui confirme que la religion a un impact « Bien sûr que je sors avec des amis, mais il est vrai que j'évite certaines situations où j'aurais l'impression de devoir être quelqu'un d'autre pour être vraiment acceptée, ou être bien tentée par des excès... » Une autre jeune chrétienne de 20 ans : « On m’a parfois reproché de ne pas sortir souvent. Mais ça n’a pas vraiment de lien direct avec la foi, si ce n’est qu’il y a certaines choses dans les soirées qui me déplaisent particulièrement, et qui sont contraires aux valeurs auxquelles je crois (drogue, sexe, excès d’alcool etc). Cela dit, ça m’arrive quelques fois d’aller boire un coup en ville avec des amis mais en général la vie nocturne n’est pas vraiment faite pour moi. »


J’ai donc cherché à savoir si les étudiants s’entouraient de personnes de la même religion et 13 personnes prônent le multiculturalisme et l’enrichissement personnel en s’entourant de personnes d’autres religions ou athées. Pour eux, la religion n’est pas importante dans leur cercle d’amis : c’est plus quelque chose de personnel. 3 personnes ont répondu qu’ils avaient différents cercles groupes: certains constitués de personnes de la même religion (ce qui permet de discuter et partager autour de leur croyance), et d’autre avec plus de diversité. Une jeune chrétienne de 20 ans constate que « quand on a la même foi/conviction dans une relation, cela est voué à durer dans le temps. On partage quelque chose qui n’a pas de fin en soi, à la différence de certaines passions par exemple, qui peuvent changer avec le temps et qui font que telle ou telle personne ne seront plus forcément aussi liées avec vous qu’elles ne l’étaient dans le passé. » Enfin, 1 personne a répondu qu’elle s’entourait de jeunes de la même religion qu’elle, mais elle n’a pas souhaité développer.


Peut-on concilier études scolaires laïques et religions ?


Pour 11 des répondants, oui, les études scolaires laïques sont compatibles avec les religions. Une jeune musulmane de 19 ans répond « Les études sont très importantes. Jusqu'à présent je n'ai pas vu d'incompatibilité avec la religion sauf au lycée où je ne pouvais pas porter mon voile, mais ça n'a en aucun cas touché à ma croyance. Au contraire, c'est important pour moi, ma religion oblige le respect des lois et règlements dans le pays dans lequel nous vivons. Sauf si une loi nous empêche de croire, on ne la respecterait pas, mais c'est pas le cas actuellement. » Un/une jeune juif(ve) de 23 ans précise « cela apporte un savoir supplémentaire et permet d'appréhender la laïcité en vivant sa religion pour soi sans avoir à être ostentatoire ». Enfin, pour la jeune bouddhiste qui étudie les sciences sociales, elle en conclue qu’on « ne peut pas savoir grand-chose avec certitude, tout est interdépendant, le monde est rempli de souffrance. Je dirais donc que mes études sont compatibles avec ma religion, et même qu’elles se soutiennent l’une l’autre. » 5 autres répondants pensent eux que ce n’est pas compatible ou très compliqué. Par exemple, un jeune musulman pense que « la laïcité est devenue une religion à part ». Enfin, 2 autres avis sont mitigés. Pour une jeune chrétienne de 22 ans, « Cela dépend sûrement de la filière d'étude bien qu'il y ait souvent inconfort un jour ou l'autre. Par exemple, étant en arts appliqués, il m'est souvent arrivé d'entendre des choses hardcores sur Dieu et la foi, venant même de mes profs (sous couvert de l'audace et de la provocation de l’art…). Du coup, c’est compliqué parfois de ne pas se compromettre pour aller dans leur sens ! » Pour une musulmane de 28 ans, tout dépend de la définition de la laïcité : « [la définition de la laïcité] je ne pense pas qu'elle soit contradictoire avec la pratique d’une religion, au contraire. Cependant, je me demande si mes projets de recherches en psychologie en lien avec la religion seraient acceptés par mes référents ou par un labo de recherche à AMU ou en France. J'ai l'impression de devoir faire "profil bas" à partir du moment où je sors du cadre strictement scientifique ou psychanalytique. »


De plus, pour 11 interrogés, il n’est pas facile de montrer son appartenance à une religion en étant dans un établissement d’études supérieures. Pour beaucoup, la religion est mal vue, et c’est difficile d’être confronté aux regards et aux jugements des autres. Cette même musulmane continue « Les études supérieures représentent une partie de la société. Je crois que le sujet reste tabou quelque part même si on est un peu plus libre à l'université qu'au lycée. Certains professeurs ont déjà fait des remarques sur le port du voile ou sur le fait de croire en émettant un jugement négatif. ». 6 autres interrogés pensent eux que c’est plus facile de montrer leur appartenance à une religion à la fac qu’en étant au lycée. Parmi ces derniers, certains s’assument plus maintenant, car les gens sont beaucoup plus tolérants dans les études supérieures.



La religion peut-elle s’adapter à une société qui change ?


À la question concernant les désaccords qu’auraient pu ressentir les étudiants avec leur religion par rapport à la société actuelle, 5 personnes m'ont dit qu'elles n'étaient pas en accord avec leur religion sur un ou plusieurs sujets. Parmi ces réponses, il y a la question de l’avortement, de la liberté de porter ou non tel ou tel vêtement, la question du mariage des prêtres, ou encore l’euthanasie, ainsi que « la question de la place des femmes vis à vis des hommes dans les lieux de culte » ou encore « sur la nourriture et l’électricité lors du Shabbat ». La question se pose de savoir si la religion ne devrait pas évoluer en même temps que la société. Enfin, 5 autres personnes ont répondu qu’elles n’avaient jamais eu de désaccord avec leur religion, et certains pensent d’ailleurs qu’elle se laïcise trop, comme le pense un jeune chrétien catholique traditionnaliste de 21 ans « L’église catholique conciliaire ayant trahie ses fidèles, elle promeut un véritable remplacement de population (migration venue d’Afrique vers l’Europe). Elle ne combat pas contre la légalisation du mariage homosexuel, l’église s’est dévoyée, elle est en accord parfait avec notre société en France. L’église actuelle s’est "laïcisée". » Cet avis, bien plus politique que religieux, nous montre que certains croyants utilisent le prétexte religieux pour défendre une vision de la société anti-progressiste. Qu’elle le veuille ou non, la religion est affectée par des débats de société qui ne devraient pas la concerner : elle devrait rester une affaire personnelle, et non politique.



Ce que ces réponses ont montré, c’est que la religion prône certaines choses auxquelles les étudiants doivent s’adapter, comme les rythmes de vie et les concepts, mais qu’il est faisable pour eux de concilier vie étudiante et vie religieuse. Cependant, si eux ajustent leur vie étudiante en fonction de leur religion, l’inverse n’est pas vrai, car la religion ne s’adapte pas forcément aux problématiques actuelles des jeunes. Par ailleurs, les établissements scolaires eux non plus ne s’adaptent pas à toutes les religions et cela pose parfois un problème. Je pense ici aux examens qui tombent sur des dates importantes pour certaines religions et qui donc ne facilitent pas les études de ces étudiants religieux.



 

crédit photo : Rekha Garton

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