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  • Pauline Savéant

Femmes/hommes : mais qui parle d’inverser les rôles ?

Le mouvement #MeToo ou #Balancetonporc a eu le mérite d’alimenter le débat. Il a permis aux femmes de prendre la parole et de témoigner sur les discriminations qu’elles vivent au quotidien. D’autre part, il nous a fait entendre de bien belles bêtises. Je pense par exemple au titre vendeur, mais surtout extrêmement maladroit, choisi par toute une équipe de journalistes d’une chaîne d’information en continu: « les hommes : le nouveau sexe faible ? » Le débat portait en fait sur le harcèlement : « la honte a-t-elle changée de camp ? »


Quoi qu’il en soit, Ce titre m’a interloquée car il laisse penser que les femmes veulent inverser le rapport de force. Cette idée est totalement fausse, bien que abondement relayée par les détracteurs du féminisme. La lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes n’a jamais été de nature à établir une nouvelle forme de domination. Il s’agit au contraire de sensibiliser tout un chacun sur le sexisme que vivent les femmes au quotidien, et de tendre vers un idéal d’égalité. Une société matriarcale remplaçant ce bien vieux système patriarcal n’est pas envisageable car il ne serait pas meilleur et pas plus juste.

Inverser les rôles permet de dénoncer le sexisme ordinaire

C’est une rhétorique souvent utilisée : quoi de mieux pour comprendre ce que vivent les femmes au quotidien que de se mettre à leur place. Suite au #Balancetonporc, la Youtubeuse Marie s’infiltre a eu l’idée de suivre des hommes dans la rue et de leur faire vivre, malgré eux, ce que toutes les femmes subissent au quotidien. La Youtubeuse a réussi à mettre en avant toute l’ambiguïté de la question en confrontant ces scènes d’harcèlement de rue à des témoignages d’hommes. Il y a forcément un grand écart entre les réactions gênées, embarrassées et les paroles très peu tendres envers les femmes, leur manière de s’habiller, leur rapport à la séduction.


Touche pas à mon porc – Marie s’infiltre

Plusieurs courts métrages disponibles sur Youtube essayent de faire passer le même message à propos de la position de la femme face à la drague de rue. La fiction permet de mettre en avant la gêne, la honte voire la violence que chaque femme a vécu au moins une fois dans sa vie. Mecs Meufs réalisé par Liam Engle montre pourquoi les femmes ne voient pas la drague de la même manière que les hommes. Ces derniers ne voient pas forcément le danger que les femmes courent quasi-quotidiennement. Le personnage masculin, transporté dans un monde où les rôles sont inversés, ne s’en rend compte qu’en vivant une expérience traumatisante dans les toilettes d’une boîte de nuit.


Mecs Meufs

La fiction permet aussi de prendre un ton plus léger et d’utiliser l’humour pour dénoncer. C’est le cas par exemple de La pomme d’Adam de Jérôme Genevray. Ce court métrage traite avec dérision les comportements stéréotypés dans le couple : une femme qui regarde le foot à la télé, qui défend son mec en voulant casser la gueule de la voisine qui le drague… Et de l’autre côté l’homme subit le harcèlement quotidien et n’a pas les armes pour se défendre et se faire entendre. Tout ça pour se rendre compte que ces rôles définis entre les femmes et les hommes ne tiennent qu’à une histoire de pomme…

La Pomme d'Adam

Dans le même esprit, il y a aussi l’excellente web-série du Studio 4 Martin, sexe faible. « Je m’appelle Martin, je suis un homme et dans mon monde ce sont les femmes qui ont le pouvoir » donne le ton au début de chaque épisode. Le personnage de Julie incarne la note positive qui est absente dans les courts métrages cités précédemment : un sexe domine certes, mais tous les individus ne sont pas sexistes, au contraire. Nous sommes ici dans un monde imaginaire où encore une fois tout est inversé. Ce parfait retournement est là pour nous rappeler que dans la réalité ce sont les femmes ce fameux « sexe faible ». Malgré les progrès faits, cette série met en avant qu’il reste un long chemin à faire pour mettre fin au sexisme ordinaire.

Le dernier épisode de Martin, sexe faible

Le matriarcat ne serait pas meilleur que le patriarcat

L’exemple le plus connu de société matriarcal est celui des amazones. Ce mythe trouve ses racines dans une réalité historique. Ce peuple antique vivant vers le Caucase est composé de guerrières redoutables, montant à cheval et tirant à l’arc. Ces barbares pour les Grecs sont évoquées dans la mythologie et couramment représentées dans l’iconographie au fil des siècles. Selon les textes anciens, ces femmes n’admettaient aucun homme, sinon pour la reproduction. Les nourrissons mâles étaient éliminés ou rendus incapables de se former à l’art de la guerre.


Le cas des amazones comme organisation matriarcale permet de montrer qu’à la base de cette domination sociale, il y a une domination physique et donc une violence exercée par des dominants sur des dominés. Pour qu’il existe une société matriarcale, il faudrait forcément que la force soit du côté des femmes et que les hommes soient totalement soumis à cette emprise. Et dans ce cas, nous nous éloignons fortement des revendications qui sont aujourd’hui prônées par les féministes, pour lesquelles l’idéal reste, je le rappelle, l’égalité.


L’auteure Noami Alderman a imaginé dans son ouvrage de science-fiction Le Pouvoir à quoi ressemblerait un monde où les femmes ont l’ascendant physique sur les hommes. Dans un futur proche, elles se trouvent toutes dotées d’une nouvelle capacité physique : elles produisent de l’électricité avec leurs mains. C’est une véritable arme de self-défense qui dégénère très vite en moyen pour elles de torturer et tuer les hommes. Ce roman est un très efficace commentaire social sur la nature du pouvoir, sur ce qu’il implique. Alderman ne dresse pas le portrait d’un monde utopique. Au contraire elle a une vision pessimiste des défauts de l’humanité. Le pouvoir corrompt, quel que soit le sexe, et son abus est indissociable de nos sociétés.


Dans un autre registre, la journaliste américaine Hanna Rosin décrit dans The End of men le moment où le féminisme permet aux femmes d’arriver au pouvoir. L’économie de service américaine est pour elle la preuve que le processus est en marche : «pour la première fois dans l’histoire, l’économie mondiale devient un endroit où les femmes ont plus de succès que les hommes.» Pas de science-fiction ici, l’auteure prétend décrire une réalité ! J’admets alors volontiers que son raisonnement pose de graves problèmes : la scientificité de ses propos est quasiment nulle mais c’est surtout son argumentation politique qui est dangereuse. Ce n’est pas une réalité socialement entérinée qu’elle décrit, même si elle le prétend. Les arguments qu’elle a choisis vont dans le sens de son hypothèse de départ. C’est ce type d’argumentation qui malheureusement entretient les fausses-idées et les aprioris péjoratifs sur le féminisme. Il n’est alors pas mauvais de répéter encore et encore que l’engagement pour l’égalité n’est pas un moyen pour prendre le pouvoir. L’idéal est de trouver un équilibre.

 

Crédit photo : Gender goes to Hollywood d’Olimpia Zagnoli pour La Repubblica

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