Le squat est un mouvement controversé qui est difficile à quantifier vu la rapidité et le secret qui, parfois, entoure ce monde. Ils sont plusieurs milliers à travers le monde à investir des lieux inoccupés pour y vivre. Ceux qu'on appelle donc squatteurs bénéficient souvent d'une mauvaise image auprès des médias et du public. Entre trouver un lieu pour s'abriter, s'organiser, et rassurer ses proches, squatter se révèle parfois être un sacré challenge. Pour découvrir un peu plus ce monde, PEPA a décidé de partir à la rencontre de jeunes qui ont décidé de vivre selon leur idéal.
Alexandra(1) a 21ans, elle vit depuis quatre mois dans un logement qu'elle partage avec deux autres personnes. Elle a emménagé dans son premier squat il y a deux ans, « je suis rentrée dans ce monde par hasard mais ça a changé ma vie. J'étais dans un cercle de confiance et c'est aussi pour ça que je suis rentrée dans ce milieu ». Elle s'est retrouvée dans les valeurs et les idées prônées par la majorité des squatteurs : l'indépendance, et la liberté, « quand tu grandis on te demande de faire des choix qui vont définir le reste de ta vie. De choisir un chemin dont tu pourras plus bouger. Cette façon de penser ça me correspond pas ». Résumant très simplement le squat par l'idée que c'est « une maison avec plein de colocs, c'est une grande famille », tout n'y est pas donné et elle confie que « dès les premières semaines, je me suis renseignée sur le droit au logement pour me protéger ».
Hugo(1), 32 ans, a commencé à vivre dans ce milieu il y a cinq ans : « Après avoir enchaîné pas mal de boulots alimentaire, j'avais plus de thunes. Je touchais un RSA amoindri et tout me servait pour payer mon appart. Un de mes potes connaissait un squat qui faisait des récups. J'ai commencé par en faire avec eux et puis je me suis dit « Merde, pourquoi je paye un loyer quand je crève de faim ? » Alors je me suis installé avec eux ». « J'ai vécu pendant quatre ans dans mon premier squat, comme quoi parfois ce sont des logements très stables ». Il raconte ainsi que « rentrer dans un squat m'a ouvert une porte sur un autre monde. J'étais en pleine galère, et paradoxalement j'ai connu l'abondance grâce à la récup ». « Après avoir enchaîné les boulots, c'était une vraie découverte que de voir qu'on peut faire autre chose. Ça rend plus de choses possibles et accessibles de ne pas avoir le couteau sous la gorge ».
Derrière ce mot qui renvoie pour certains à de vieilles images de lieux délabrés, repaires de toxicomanes, Hugo dépeint une autre image : « des fois c'est très simple un squat commence quand des gens choisissent, au lieu d'être à la rue, de rester dans leur appartement ». « Pour moi dans les squats il y a une moitié qui y vit par nécessité, et une moitié par revendication politique ».
« Quand il y a des gens dans le besoin ils ont plusieurs options. D'abord passer par le gouvernement qui peut te reloger dans un HLM, dans une chambre d'hôtel pour un certain temps. Pour ça il faut remplir des papiers (notamment le DALO(2)) ce qui est parfois fastidieux. Sinon il existe des hébergements d'urgence, on peut aussi appeler le 115. Le souci avec ça c'est qu'il y a très peu de place, à Montpellier par exemple en 2017 il y avait 189 places pour 3000 demandes. Après il reste le choix de la rue, ou de se retrouver dans un squat ». Pour pallier au manque de logement « certains squats proposent des places d'hébergement d'urgence pour une durée limitée, d'autres offrent un système de sleeping, certains ont pour objectif d'avoir le plus de places possibles pour accueillir le plus de gens ». « Pour toucher les gens, des squats sont présents sur internet, c'était le cas de mon premier logement. Parfois c'est aussi le 115 qui envoie les gens à différents squats en donnant une adresse ou un numéro ».
Ces deux jeunes adultes ont vécu séparément des parcours différents. Aujourd'hui, ils se retrouvent sur plusieurs thèmes, défendent les mêmes idées et valeurs.
Ce qui les poussent à occuper des logements inhabités est l'injustice qu'ils perçoivent dans le système actuel. Ils rejettent et condamnent la gentrification : « Ici on occupe un immeuble laissé à l'abandon. Les propriétaires laissent le terrain prendre de la valeur tandis que le logement se délabre. Ils veulent pouvoir revendre la parcelle pour tout détruire et construire de nouveau. On crée de la valeur marchande au détriment du patrimoine tout en se plaignant du manque de logement ». Ils adhèrent aussi à l'idée qu'ils ne sont pas « un squat politisé mais politique. La démarche derrière est forcément politique puisqu'on refuse la propriété du profit ». En occupant un logement vide, ils revendiquent une logique de réappropriation mais aussi d'équilibre des richesses entre ceux qui n'ont rien et ceux qui accumulent des biens.
Confrontés tous les jours à la vie en collectivité, ils soulignent qu'aujourd'hui l'individualisme est la qualité première prônée dans notre société, « on se construit en tant qu'une individualité dans la masse, vivre dans un squat c'est déconstruire cette éducation » pour Alexandra. « Pour moi, squatter, c'est la seule expérience collective que tu peux vivre aujourd'hui, à part l'armée ». Pour Hugo, c'est un moyen de plus subir le quotidien : « vivre dans un squat c'est aussi reprendre ton indépendance. Tu as plus le choix du tracé de ta vie quand tu fais ça ». Face à l'ingérence de l’État dans plusieurs domaines, les squatteurs tentent de s'affranchir d'une tutelle omniprésente.
De leurs expériences de vie en collectif ils en ressortent du positif : « l'idée majoritaire dans les squats c'est la bienveillance, même s'il y a toujours des accros de temps en temps » raconte Hugo, quand Alexandra affirme que « vivre en communauté ça t'apprend tellement de choses sur le long terme ; des choses manuelles ou des connaissances en droit. Ça t'apprend aussi à développer des qualités humaines : te reposer sur les autres ou prendre des responsabilités ». « C'est vivant, enrichissant, t'as toujours quelque chose de nouveau autour de toi. Dans la vie tu cherches toujours à t'occuper. Ici il y a toujours quelque chose à faire ».
Et parfois aussi du négatif, « J'ai une vision utopique qui se confronte parfois au monde réel. C'est pour ça que des fois je me questionne, je vis des périodes moins bien » rapporte Alexandra. « Dans la vie chacun fait ce qu'il veut, agit en fonction de ses pulsions. Parfois ça concorde avec les autres, d'autres fois t'es déçu et tu te heurtes au monde ». De son côté Hugo explique que « les mêmes schémas se répètent à toutes les échelles. C'est pour ça que ça passe pas toujours bien : il y a des gens qui cherchent le pouvoir, des hypocrites. Certains subissent des situations néfastes par manque d'information. Mais la majorité des gens qui vivent en communauté ont conscience de ce que ça représente. On essaie tous de faire au mieux, et la clé pour que tout se passe bien c'est la communication ».
Ils mettent en garde contre un portrait unitaire des squats qu'on pourrait faire. Ce mouvement est très hétéroclite, plusieurs types de logements coexistent sous l'appellation de squat. Alexandra dresse un premier critère qui permet de séparer les logements : « il existe des squats « invisibles » et ceux qui donnent des noms ». Les premiers sont tenus secret, la lumière n'y est, par exemple, pas allumée, et personne ne se revendique comme occupant. Dans les seconds, les noms sont ceux inscrits sur les boîtes aux lettres, et sur les procédures d'expulsion. C'est en général des squats de militants ou politiques. Des squats répondent à toutes les idéologies allant des anarchistes à l'extrême droite. Certains abritent des militants, d'autres des artistes, ou bien encore des migrants. Dans quelques-uns la vocation est purement l'habitation, dans d'autres elle est plutôt politique ou culturelle. Enfin « il y a des squats qui sont non mixtes et ça permet d'aborder de nouveaux sujets. Des fois ce n'est pas entièrement mixte mais seulement selon une certaine temporalité ou dans certains lieux » livre Hugo.
Chaque local n'est pas éligible en squat, « en général, ils se font dans des locaux inhabités, dans des maisons abandonnées depuis très longtemps, dans des bâtiments qui appartiennent à la mairie. Dans ces derniers c'est tout bénef pour nous, ils dépendent de l'argent de l’État et c'est plus difficile de lancer des procédures contre nous » rajoute Alexandra.
Ces deux jeunes mettent en avant le travail des militants et les avancées permises grâce à eux comme l'explique Hugo : « L'action des militants a changé la donne. Ils affrontent la police, les expulsions illégales, ils permettent des rencontres avec les avocats et conseillent les personnes en détresse. Ça a permit une autre protection des personnes en difficulté ». Plus qu'un simple logement, les squats accueillent divers équipements et aménagements : potager, marché ouvert au public, bibliothèque, ateliers de récupération ou artistique sont certaines des options mises en place. « Y a un sacré travail derrière tout ça » confie Alexandra.
En France, le squat n'est pas reconnu, la loi n'en donne aucune définition. L'occupation d'un lieu destiné à l'habitation par des personnes contre la volonté du propriétaire est considérée comme illégale. Mais l'expulsion d'occupants estimés illégaux ne se fait pas sans procédure. Une fois installés depuis plus de 48h la police ne plus légalement expulser des squatteurs. Il faut pour cela faire appel au tribunal d'instance (sauf si le juge considère qu'il y a eu une effraction). Après la déposition d'une requête, le tribunal désignera un huissier qui relèvera l'identité des occupants. Depuis la loi ALUR, du 24 mars 2014, le droit prévoit la suspension des expulsions pendant la trêve hivernale, ainsi en théorie du 1er novembre 2017 au 31 mars 2018 personne n'a pu être expulsé.
Entre la peur, l'inquiétude, et les reproches, de nombreuses critiques sont faites contre les squats et ceux qui les occupent, « Même entre les squatteurs il y a des critiques. Ce n'est pas un milieu homogène, et il y en a qui critiquent la visibilité et la mise en avant de certains lieux ». Alexandra admet que « ça peut être stressant pour plusieurs raisons : les gens, la police, les expulsions illégales. Je comprend que ça puisse inquiéter ». Le premier jugement auquel ils sont confrontés est souvent le même : « qu'est-ce que tu dirais toi si quand tu rentrais chez toi tu trouvais quelqu'un dans ton lit ? ». Face à ça, Hugo répond simplement que « les gens ont peur, ils ne connaissent pas ce milieu et ont des appréhensions. Ils se raccrochent alors à des idées fausses, et notamment que des squatteurs peuvent voler des logements habités. Hors ce n'est pas le cas, on n'utilise que ce qui ne l'est pas ». On fait souvent un portrait négatif et parfois inconscient des squatteurs quand pour Alexandra « t'as beaucoup de responsabilités. Être un squatteur c'est pas être irresponsable, il faut faire attention à plein de choses, aux gens, aux lieux ». « Être contre le monde ce n'est pas forcément négatif. Être contre le monde ça peut aussi être pour le monde ».
Pour découvrir un peu plus de témoignages de personnes qui ont décidé de vivre leur vie autrement, le compte Soundcloud ZADsocialRAP se fait l'écho des textes de squatteurs. Toutes les paroles rédigées lors d'ateliers d'écriture et tous les enregistrements sont fait à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. A l'image du morceau Entre buttes et tranchées ayant pour sujet l'expulsion de la ZAD ou Pourquoi je reste qui expose les raisons de rester et défendre leur lieu de vie, les habitants livrent par le rap leur état d'âme.
(1) Les prénoms ont été modifiés pour garder l'anonymat des personnes interrogées
(2) La loi DALO est un recours pour faire valoir un droit à un logement décent aux personnes mal logées/qui attendent un logement social. L’État est garant de ce droit, et doit faire reloger les personnes reconnues prioritaires. La personne reconnue prioritaire peut exercer un appel devant une commission de médiation, puis si aucun logement ne lui a été attribué dans un délai de trois à six mois (selon les départements) peut déposer un recours devant le tribunal administratif.
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Photo de couverture : Photo archives PO-Romain Boulanger, Notre-Dame-des-Landes. Un appel à mobilisation sur la ZAD
Illustration article : René Petillon
Article édité le 31 juillet