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  • Pauline Savéant

Les "musées 2.0" peuvent-ils mettre tout le monde d'accord ?

Les outils numériques ont débarqué depuis un certain nombre d’années maintenant dans de multiples musées français. Leur statut, leur utilité et leur pertinence peuvent cependant faire l’objet de débats. Quand certains y voient une intrusion de la technologie dans le monde de l’art et du patrimoine, d’autres les décrivent comme un superbe moyen d’enrichir les expositions et d’attirer des nouveaux publics. La question est en effet complexe puisqu’elle fait appel à la subjectivité, au ressenti ou à la sensibilité de chaque être humain. C’est aussi une problématique au cœur des décisions des institutions muséales contemporaines. Car malgré les divers avantages offerts, il semble prudent pour les musées de garder une approche critique vis-à-vis du numérique.


Je suis récemment allée en Avignon pour découvrir le Palais des papes. Ce monument historique emblématique de la région Paca impose une visite guidée avec un "HistoPad". Il s’agit tout simplement d’une tablette tactile, équipée d’un casque, qui permet de voir le palais sous un tout autre jour. L’HistoPad montre certaines salles comme elles ont pu l’être au XIVe siècle grâce à la réalité augmentée. Le procédé est simple : à travers la tablette vous voyez une reconstitution des lieux à la fin du Moyen-Age.


C’est une bonne idée me diriez-vous. Mais je tiens à pointer du doigt ce qui représente, selon moi, un problème. Cette technologie nous conduit forcément à découvrir le lieu à travers la tablette. Il y a une interface, un intermédiaire qui vient s’installer entre le visiteur et le monument historique à découvrir. Pour moi, le risque de cet HistoPad est d’en oublier d’admirer le lieu unique, tel qu’il est conservé aujourd’hui, car il n’est vu qu’à travers un écran et une reconstitution.


Crédit : https://www.provence-mag.fr/lhistopad-retour-passe-a-avignon/

L’HistoPad du palais des papes.


Vous l’aurez donc compris, je n’apprécie pas particulièrement ce type d’outils numérique. Je ne le blâme pas pour autant. Je reconnais que cette initiative est très intéressante pour le palais, la ville d’Avignon, mais aussi pour les visiteurs ! Utiliser une tablette avec la réalité augmentée et les commentaires audio rend la visite beaucoup plus ludique, interactive et accessible que des panneaux explicatifs écrits. Ça a également l’avantage de désencombrer les remarquables salles de tous les moyens de médiation classiques pouvant "polluer" le décor. Ce dernier argument est encore plus valable pour le tourisme vert, écologique ou naturel. Près de Nîmes, le domaine du château des Mourgues du Grès au Beaucaire propose une visite singulière à travers les vignes et la garrigue. Une application pour Smartphones et tablettes permet d’accéder à des textes et des vidéos explicatifs. Les seules outils de médiations installés dans la nature sont les quelques balises Bluetooth…


Elargir le public des musées


Les nouvelles technologies et les outils numériques sont de plus en plus utilisés dans le domaine de la médiation culturelle car il y a une évolution au niveau du public. Le visiteur ne veut plus simplement être celui qui "regarde" l’exposition ou "lit" les explications, ce qui sous-entend une certaine passivité. Il veut être considéré comme un sujet acteur de sens, et donc être actif. Il est alors question des pratiques dites interactives : écrans tactiles, réalité augmentée, lunettes intelligentes, interfaces 3D ou 4D etc. Tous ces dispositifs sont ludiques ; mais gardons à l’esprit que l’interactivité n’est pas exclusive au numérique. Des jeux ou des manipulations existent dans un certain nombre de musée, comme l’emblématique « Cité des enfants » dans la cité des sciences et des technologies à Paris.


Crédit : http://www.babyoles.com/2015/04/jai-teste-pour-vous-la-cite-des.html

Dispositif pour comprendre le fonctionnement d’une écluse à la cité des enfants de la Villette à Paris.


Le numérique est généralement vu comme un moyen efficace pour toucher des personnes qui n’ont pas l’habitude ou la possibilité de fréquenter des lieux culturels. Les musées peuvent ainsi demeurer des espaces de transmission mais en se démarquant de ce qui se fait traditionnellement. Premièrement, les centres culturels s’informatisent. Ceci a d’abord touché les collections, avec, par exemple, le Centre Pompidou qui propose des ressources en ligne (notices des œuvres, portraits d’artistes, de mouvements, archives…). Puis la technologie est entrée dans l’espace de l’exposition : c’est ce qui peut être appelé la muséographie d’immersion innovante. L’immanquable audio-guide fait partie de cette catégorie, même s’il est parfois placé du côté des vieux moyens de médiation. Nous avons tendance à voir l’innovation dans ce que l’on peut appeler les « bornes multimédias ». La nouveauté est l’approche corporelle et cognitive pour le spectateur. Elle est attirante tout en correspondant parfaitement à l’air du temps. Car pour justifier l’appropriation du numérique, les musées utilisent régulièrement l’argument de la modernité…


Se moderniser à tout prix ?


L’arrivée du numérique dans les musées est d’une certaine manière un signe de progrès, mais il ne faut pas non plus l’accueillir aveuglément. Ces musées 2.0 sont des terrains d’expérimentation mais ils ne doivent pas entrer dans une course à la modernité. Autrement dit, il ne faut pas installer du numérique pour installer du numérique. Comme dans tout projet muséal, la médiation doit être au service du discours que l’institution culturelle tient. Il convient d’avoir une approche critique du numérique pour ne pas perdre de vue l’objectif premier : instruire et transmettre.


Les outils doivent être "invisibles", il faut les utiliser sans y penser. Ils doivent enrichir l’expérience des visiteurs dans le musée. Rendre la culture accessible au plus grand nombre ne signifie pas la simplifier au point d’en perdre son essence. Par exemple, les outils comme les tablettes ou les interfaces 3D attirent les plus jeunes. Il est positif que ces dernières favorisent leur concentration, leur autonomie ou leur curiosité lors de leur expérience dans le musée. C’est n’est pas la tablette qui doit les séduire, mais l’exposition en elle-même, grâce à cet outil numérique. Cela semble être facile à dire, mais dans la réalité ce n’est pas aussi évident. Les institutions muséales peuvent un jour ou l’autre tomber dans ce piège, ce qui sous-entendrait de graves remises en question en termes des politiques culturelles et éducatives.


Pour en revenir au fameux HistoPad, je lui reproche son côté un peu "gadget". J’ai jugé ne pas avoir besoin de cette médiation numérique pour profiter pleinement du lieu à découvrir. Mais je n’ai pas eu le choix que de le prendre. Et c’est peut-être là que se trouve le fond du problème. Idéalement, les musées ne devraient pas nous proposer un seul moyen de découverte de l’exposition, chacun a sa propre sensibilité et sa propre approche des arts ou du patrimoine. Car nous ne sommes malheureusement pas tous égaux face à la culture, et les musées, de manière générale, ne peuvent pas plaire à tout le monde.



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