Amatrice de photographie depuis quelques années, j’aime profiter des grandes vacances pour visiter un maximum d’expositions. Depuis quelques années, je vais à Visa pour l’image, qui est un festival international comme les rencontres artistiques d’Arles, mais axé sur le photojournalisme. Cette année, entre le 2 septembre et ce dimanche 17 septembre, s’est tenue la 29eme édition du festival à Perpignan. De nombreux visiteurs ont déambulé dans la ville où ils ont pu découvrir de multiples expositions. Visa pour l’image présente chaque année de nombreux reportages photographiques traitant de thèmes d’actualité. Le festival offre également la possibilité d’aller à la rencontre des photographes exposés. Les clichés peuvent choquer le spectateur et sont parfois aussi beaux que marquants. Certains sont tellement beaux qu’on en vient à se questionner sur leurs catégories : documents ou art ? Comment peut-on faire la distinction entre photographies dites artistiques et photographies dites documentaires ? Une photographie ne peut-elle pas être les deux ?
A l’origine, le style documentaire se veut une capture du réel. Les médiums les plus appropriés sont la photographie et le cinéma, qui permettent de retranscrire au mieux une vision du monde. On parle alors « d’enregistrement du réel ». La photographie peut capturer un élément à un instant T. Elle permet donc sa fixation dans le temps. Cet aspect du temps figé est très important dans les images documentaires car elles deviennent des traces, des témoignages du passé.
Il est donc important que les images documentaires soient les plus neutres possibles. Le photographe doit tenter au maximum de s’effacer face à son sujet. Il doit montrer la réalité telle qu’elle est et non pas telle qu’il l’a perçue. Ce rapport à l’image reste, quoi qu’il en soit, très subjectif. Le photographe donne à voir ce qu’il a vu, ce qui peut être une vision tronquée de la réalité. Il ne doit en aucun cas modifier son image car cela pourrait changer la vision du réel. Une image modifiée, par quelque élément que ce soit (lumière, retouche infographique, trucage etc.) deviendrait une image artistique. L’implication du photographe dans son travail l’a rendu personnel et le cliché perd son côté réaliste, si important dans la photographie documentaire.
Michael Araja (29 ans) était parmi les victimes abattues devant un kiosque "sari-sari" où, selon ses voisins, il s’était rendu pour acheter des cigarettes et une boisson pour sa femme. Deux hommes à moto ont tiré sur le groupe : un mode opératoire fréquemment utilisé, connu sous le nom de "virée en tandem". Sur le lieu du crime, des policiers relèvent des indices. Manille, 2 octobre, 2016. (© Daniel Berehulak pour The New York Times)
Parmi les images documentaires, on peut distinguer deux types de photojournalismes : le photojournalisme neutre, qui documente et la photographie dite sociale qui vise, elle, à chercher des solutions. Ces deux catégories peuvent donc se différencier suivant le degré d’engagement du photographe.
La photographie ci-dessus appartient à la catégorie du photojournalisme. Elle est exposée dans le cadre de Visa, à l’atelier d’Urbanisme de Perpignan. Le photojournalisme informe sur des faits de la société. Les photographies sont publiées dans les médias. C’est en circulant qu’elles font passer l’information. La légende qui les accompagne est essentielle pour renforcer la photo. Le photojournalisme permet de prendre conscience de certains évènements ou de situations tabous par le biais d’un témoignage visuel. Pour certains, il est impensable qu’une image documentaire soit vendue au même titre qu’une œuvre d’art. La photographie d’un photojournaliste trouve sa place dans les journaux, mais pas dans les galeries. À Visa pour l’image, le parti pris est de les présenter toutes au même format, de façon linéaire pour ne pas les mettre en scène, et aucune de ces images n’est à vendre.
La photographie sociale est quant à elle une photographie documentaire militante. Le photographe social s’engage dans ce qu’il photographie. Il n’a pas un point de vue neutre. Il défend un problème et en cherche parfois les solutions en se plaçant dans un des deux camps. Il tente, à travers ses photographies, de sensibiliser voire d’influencer les opinions.
Ferhat Bouda, exposition sur les Berbères au Maroc. Être berbère au Maroc est une tradition qui se perd, mais les représentants de cette culture sont bien déterminés à la faire parvenir aux futures générations. (© Renaud Labracherie)
Cette approche documentaire des images s’oppose à un traitement artistique. Une image documentaire est basée sur la neutralité de son sujet : le photographe prend le monde tel qu’il est, alors que l’artiste peut choisir, pour fabriquer son image. Alors qu’un photographe documentaire témoigne, un photographe artiste crée. On parle d’esthétique quand il s’agit de la composition de la photographie et non du sujet. Lors de la réalisation d’un cliché artistique, le photographe s’implique dans sa création. Il peut changer de point de vue lorsqu’il le faut, contrairement à la photographie documentaire prise sur le vif et où le photographe ne peut rien effacer. La photographie artistique est une pratique basée sur le « je » et sur l’artiste. Il partage sa vision du monde ainsi obligatoirement subjective. Si le cliché est retravaillé, il se retrouve alors dans la catégorie des images artistiques.
Peia Kararaua (16 ans), dans un quartier inondé du village d’Aberao, îles Kiribati, l’un des pays les plus durement touchés par la montée du niveau des mers. (© Vlad Sokhin)
Bien sûr, les deux approches, documentaire et esthétique, peuvent se rejoindre. La frontière est bien souvent très floue, comme en témoigne la photographie de Vlad Sokhin ci-dessus, qui est exposée elle aussi dans le cadre de Visa au Couvent des Minimes. Tout photographe travaille en effet son cadrage. Une image ayant une construction visuelle marquée permet au spectateur de mieux la comprendre. Son regard est guidé vers les éléments « forts » du cliché. Une photographie mal organisée attire beaucoup moins l’œil. Les images documentaires exposées à Visa sur l’image permettent ce lien entre esthétique et politique. Le message porté par le cliché doit primer sur l’esthétique. Si l’image est bien composée et que le message est clair, les qualités esthétiques et éthiques de l’image sont respectées.
Lorsqu’un artiste utilise et modifie le réel dans son travail, la dimension documentaire reste présente et affirmée dans sa production. L’artiste photographe nous propose alors sa réalité, en gardant ce lien entre images documentaires et images artistiques. Le statut d’une image peut aussi changer avec le temps. Certains clichés qui avaient une origine documentaire peuvent devenir artistiques à une époque postérieure, et inversement. Tout cela n’est pas du tout calculé au moment de la prise de vue. Enfin, une image documentaire peut rentrer dans le domaine artistique, lorsque même en mettant le sujet et le contexte de côté, l’esthétique de la photographie nous frappe.
Alors à la question est ce qu’une image documentaire peut-elle être une image artistique ? Oui, elle peut, suivant le sujet et comment il est traité. Mais est-ce qu’une image de photojournalisme peut-être une œuvre d’art ? Non, je ne pense pas. Je pense qu’une image de photojournalisme peut être très bien construite, mais nous ne devons pas en oublier le sujet. Le plaisir de regarder de belles photographies ne doit pas obstruer notre vision sur le monde. Visa pour l’image, permet donc de nous informer, et de témoigner des différents conflits en cours dans le monde. Toutes les photos de ce festival réussissent à faire ce lien entre esthétique et politique et c’est pourquoi, chaque année, je retourne à Perpignan, pour m’informer sur le monde.