« Le mec il a saigné du nez sur un fond blanc et il demande 30 000€ ?! » disait Idriss (Omar Sy) dans Intouchable (Éric Toledano et Olivier Nakache, 2011).
Vous aussi vous avez sûrement souri en entendant cette phrase, vous rappelant tous les « c'est inutile », « mon enfant de 5 ans ferait pareil », « qu'est-ce que ça fait dans un musée ? » ou autre « moi aussi je vais prendre une planche de bois et gagner 10 000 balles ».
Pas toujours facile de comprendre l'art contemporain dans un musée. Face à une peinture sans rien dessus, un tas d'ordures, ou un cube de verre posé sur un socle, quoi de plus normal que de se poser ces questions.
PEPA se propose de vous aider à mieux comprendre l'art contemporain lors de vos visites au musée en vous offrant quelques clefs de lecture qui vous donnerons envie d'en savoir plus.
Les historiens de l'art vont sans doute grincer des dents face à de telles généralités. Mais le but de cet article n'est pas de faire un ouvrage scientifique mais plutôt une sélection non-exhaustive de critères qui vous permettront de ne plus rester ahuri face à ces œuvres contemporaines.
1 - Soyez ouverts et curieux !
La première étape avant d'essayer de comprendre l'art contemporain, c'est d'adopter la bonne attitude. Si vous vous retrouvez dans une expo de votre plein gré ou non, jouez le jeu et acceptez de vous laisser surprendre. Prenez une attitude positive et ouverte, et dites-vous simplement que chaque objet d'art a un intérêt. Vous pouvez trouver cela moche, inutile, ou déconnecté de la réalité. Ne vous en faites pas : c'est sûrement volontaire de la part de l'artiste.
Alors laissez-vous porter par votre imagination, et, pourquoi pas, essayez de voir quel message l'artiste a voulu faire passer.
2 - Casser les codes de l'art traditionnel
Il existe une grande idée qui vous aidera pour presque toutes les œuvres : l'art contemporain, que l'on fait généralement commencer au début du XXème siècle, tend à casser les codes et abolir les frontières de l'art.
C'est un art qui se veut expérimental et novateur, en opposé à la tradition artistique immuable. Par exemple, prenez un tableau du XVIe siècle et un tableau néo-classique du XIXème siècle. A moins d'être spécialiste, difficile de faire la différence.
Mais l'art du XXème siècle, puis celui du XXIème est bien plus identifiable que les autres : pas de normes classiques, pas de proportions parfaites, pas de respect logique des couleurs, pas toujours de personnages ou de formes identifiables.
Ces deux tableaux ont 3 siècles d'écart. Lequel est le plus vieux ? (1)
LÃ c'est tout de suite plus facile, hein ?
1952 Helen Frankenthaler Mountains & Sea
3 - Un art émancipé des élites pour se rapprocher du public
Cela va sûrement vous étonner, mais la plupart des courants de l'art contemporain ont été pensé pour être accessibles au plus large public. On voulait rompre avec l'art élitiste, l'art qui représente des grandes scènes héroïques de l'Histoire, l'art qui demande une maîtrise parfaite du corps humain, l'art qui respecte les codes.
Du coup, si vous êtes face à une œuvre très épurée, ou une œuvre faite de matériaux pauvres, il s'agit probablement d'une volonté de simplification de l'art. Le rendre accessible, et montrer au public que lui aussi peut faire partie des artistes.
Supprimer la séparation entre artiste et spectateur, ça passe parfois par intégrer les spectateurs dans la création artistique : c'est pour cela que certaines expositions vous invitent à toucher les œuvres et à les activer avec des boutons ou des mouvements.
En 1961, Allan Kaprow réalise l'exposition Yard où il installe des dizaines de pneus. Les spectateurs sont invités à entrer dans cet espace libre. L'intérêt de l’œuvre ne réside pas tellement dans la présence de pneus, mais plus dans l'euphorie que les spectateurs éprouvent à s'amuser.
4 - L'art contemporain ne cherche pas à être Beau
Casser les codes de l'art traditionnel, c'est passer par l'abandon du Beau. Alors que jusque-là , on recherchait le plaisir des yeux à travers des tableaux et des sculptures idéales, l'art contemporain cherche de nouveaux modes d'expression.
C'est ainsi que cet art quitte les considérations esthétiques pour proposer des œuvres expérimentales. Face à une œuvre d'art à priori sans intérêt visuel, posez-vous la question : pourquoi l'artiste a utilisé ces matériaux ? Quelle sensation procure la présence de cet objet ? Fait-il du bruit ou du mouvement ? Cela pourra sans doute vous aider.
1970, Eva Hesse Untitled (Seven Poles) . Alors atteinte d'une maladie, l'artiste réalise ces sept éléments en verre, résine, polyester, et fils. Semblable à des boyaux, cette œuvre prend une dimension existentielle puisque l'artiste est face à sa maladie. A propos d'une autre œuvre assez proche, Eva Hesse déclara « c'est la structure la plus ridicule que j'ai jamais faite, c'est bien pour ça qu'elle est réussie »
5 - Faire réfléchir le spectateur sur les questions sociales
Si l'esthétique est abandonnée, l'intérêt des œuvres est à chercher ailleurs. Et pour cause, la plupart des artistes contemporains portent avec eux des revendications et des luttes politiques, sociales, écologiques, d'identité de genre, etc.
L'art contemporain est un art à message, et les artistes souhaitent s'adresser à l'esprit du spectateur avant de s'adresser à leurs yeux.
Parfois, il faut comprendre le contexte politique de l'époque où l’œuvre a été créée, mais le XXème siècle est encore proche de nous et les luttes comme celles de mai 1968 trouvent toujours un écho dans notre société.
En 1968, l'artiste autrichienne VALIE EXPORT réalise une performance dans laquelle elle promène son compagnon en laisse dans les rues. La majorité de ses performances questionnent les rapports hommes/femmes et les rôles laissés aux femmes.
6 - Faut-il comprendre l'art contemporain ?
Si certaines expositions ne proposent pas d'explications à des œuvres à priori dénuées de sens, c'est tout simplement que certains artistes refusent qu'il y ait un sens à leurs œuvres. Alors parfois, inutile de vous creuser l'esprit à tenter d'entrer dans la tête de l'artiste.
1969 Robert Morris Three L-Beams
Enfin bon, je vous l'accorde, encore fallait-il avoir compris qu'il ne fallait pas comprendre l'art contemporain pour comprendre l'art contemporain. CQFD.
Annabelle Bindl
( 1 ) A gauche : 1814 Jean Dominique Ingres Raphaël et la Fornarina. A droite : 1500 Léonard de Vinci Saint Anne La Vierge et l'enfant Jésus