Qu’elles soient fixes ou en mouvement, les images sont partout. Dans ce terme image, on range toutes les productions visuelles qui nous entourent, dont les photographies et les vidéos en sont les principales composantes. Qu’on se balade dans la ville ou qu’on ait les yeux rivés sur nos téléphones, le résultat est le même : des milliers d’images défilent sous nos yeux. Seulement, à l’ère du numérique dans laquelle nous nous trouvons, la question de la retouche photographique est devenue un vrai combat.
Une retouche photographique est une modification visuelle qui n’entraîne pas de modification dans le message de base de la photo mais juste une amélioration ou une correction de l’image. On peut dans ce cas-là évoquer le milieu de la mode, avec les images de mannequins retouchées. À l’opposé, un trucage est une image modifiée visuellement, qui modifie le message que l’image de base voulait faire passer. Coller un personnage politique devant un bâtiment où il n’est jamais allé, c’est un trucage.
Le premier trucage connu date de 1860. Sur cette photographie, on pouvait voir la tête d’Abraham Lincoln collée sur le corps de John Calhoun, un prédécesseur. Les politiques n’ont par la suite cessé d’utiliser les nouvelles techniques de leur époque pour modifier et manipuler les foules. On pourrait citer Staline, Hitler, Mussolini ou encore Mao Tsé-Toung. Un des trucages les plus utilisés était de supprimer des personnes qui n’appartenaient plus aux partis sur les photos officielles. Ces méthodes étaient notamment utilisées pour la propagande.
Le numérique commença à se développer dans les années 90 et depuis l’apparition de Photoshop, la retouche s’est démocratisée. De plus, avec les sites internet nous permettant de retoucher une photo très vite et simplement, elle est devenue de plus en plus populaire. Le milieu de la pub et les médias en sont friands : trouver une image sans retouche dans ces milieux est devenu maintenant très compliqué. Ces sphères veulent nous donner à voir l’image la plus cohérente possible vis à vis de celle qu’on a dans nos esprits et de nos attentes.
Le 27 juin 1994, pour sa couverture, Time Magazine noirci le visage de O.J. Simpson, pour le rendre plus menaçant. De nombreuses accusations ont suivi, notamment pour cause de racisme de la part du magazine. Utiliser ces techniques de retouche n’est pas sans risque. Dans la sphère médiatique, la question des retouches pose un problème éthique. Pour André Gunthert. Directeur du laboratoire d'histoire visuelle contemporaine, « la profession [le journalisme] a pour théorie que retoucher une photo nuit à l’objectivité. Ceux qui retravaillent les clichés sont considérés comme des manipulateurs, mais le travail quotidien va à l’encontre de ce discours immuable. » Retoucher une photo ne serait pour lui qu’une manière de lui donner plus de qualité, c’est donc une avancée positive.
Couverture à gauche de New Week et à droite du Time Magazine
Dans la pub, il est maintenant habituel de voir la photo d’un produit avec marqué en dessous et en tout petit « image non contractuelle ». Ils précisent que l’image n’est pas la réalité car ils ne veulent pas de problème avec les acheteurs. Cela n’empêche pas les publicités d’être accusées pour publicités mensongères ou pour tromperies. Toujours dans le milieu de la pub, mais plus précisément, celui de la mode, la question est centrale. Si les mannequins sont retouchés c’est pour être conformes aux normes de beauté que la société a créée et qu’elle nous impose. L’impact de ces retouches sur les images est assez important dans notre société. Nous sommes sous l’influence des images et dans notre inconscient, notre idéal restera de ressembler à ces mannequins.
Une étude réalisée par Adilson Borges, un professeur de la Neoma Business School, a révélé l’impact des photos retouchées sur le consommateur avec une étude réalisée sur 255 jeunes filles en France. Elle se base sur deux constats. Le premier : une photographie retouchée inciterait plus le consommateur à acheter le produit et à le payer plus cher. Le deuxième : une photographie retouchée pourrait avoir un impact sur notre confiance en soi. Concernant les résultats de cette étude, une personne ayant vu une publicité avec une photographie retouchée est prête à payer 20% de plus le produit par rapport à une personne ayant vu la même publicité, non retouchée. Seulement, toujours d’après cette étude, concernant une question sur leur physique, les jeunes filles ayant vu l’image photoshopée aurait une moins bonne image d’elle que celle qui auraient vu la publicité non retouchée. Adilson Borges démontre ainsi les effets négatifs de ces techniques commerciales. Certes, retoucher une photo pourrait donner au consommateur plus envie d’acheter, mais cela pourrait aussi nuire à sa santé. Si trop peu d'études ont été menées sur le sujet, il est important de rappeler que ce rapport à l'image touche toutes les tranches d'âge et les genres.
Une loi a cependant été votée concernant les retouches. Une mention « Photographie retouchée » doit être apposée sur toute les photographies diffusées dans les médias et dont les mannequins auraient été modifiés corporellement, sous peine d’une amende. Cette loi a été votée notamment car de nombreux ados pourraient ressentir « un sentiment d’autodépréciation et une mauvaise estime de soi pouvant avoir un impact sur les comportements de santé »[1]. Cependant, nous pouvons aussi remarquer l’apparition du « body positivism », une nouvelle manière de voir le corps. Le body positivism prône l’acceptation de soi et la diversité des corps. Ne pas retoucher une image et montrer les corps tels qu’ils sont est même devenu un argument de vente pour certaines marques.
Desigual, pub pour sa collection de maillots de bain 2017, inspirée du Body Positivism
Snapchat et Instagram sont deux applications qui ont permis à tous de retoucher leurs photos avec une facilité extrême, principalement grâce à leurs filtres. Le problème, c’est qu’on vit dans un monde où les réseaux sociaux nous permettent certes de communiquer mais aussi d’exposer notre vie aux autres. On veut montrer à quel point notre vie est plus belle que celle du voisin, et les filtres ainsi que les mises en scène deviennent monnaie courante. Nous sommes des consommateurs d’images qui nous adaptons aux modes photographiques au même titre qu’on s’adapte aux modes vestimentaires. Les réseaux sociaux nous permettent de voir le monde autrement, on veut le montrer dans une représentation idéale or ce n’est pas la réalité. On peut alors évoquer l’histoire de Essena O’Neill, une jeune fille de 19 ans, cultivant sa vie parfaite sur les différents réseaux sociaux. Très vite, cette jeune fille fut populaire sur la sphère virtuelle et gagne en popularité. Sa vie relève du rêve pour certaines jeunes filles : être suivie et aimée par un grand nombre d’abonnés. En novembre 2015, elle décide de révéler la réalité sur ses clichés et nous partage alors l’envers du décor en modifiant les légendes de ses photos.
Légende sous sa photo : « S’il vous plaît, « likez » cette photo, je me suis maquillée, j’ai bouclé mes cheveux, j’ai enfilé une robe moulante et porté des bijoux très gros et inconfortables. J’ai pris 50 clichés avant d’en obtenir un que vous pourriez apprécier, puis je l’ai modifié pendant des heures sur différentes applications mobiles, juste pour me sentir aimée de vous. Il n’y a rien de réel là-dedans ! »
Dans le milieu artistique, la retouche a un tout autre statut. La retouche permet à l’artiste d’accéder à une grande liberté de création. Au même titre que le peintre pouvait modifier ce qu’il voulait sur la peinture, le photographe peut maintenant faire de même. Il n’est plus que dans l’enregistrement du réel, il peut se permettre d’aller plus loin. L’appareil n’étant pas un œil, on ne peut pas atteindre en photographie la copie exacte que de ce qu’on a vu. La retouche nous permet alors de rendre la photographie comme on l’aurait souhaité.
La question de la retouche est beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît. 90% des images que nous voyons sont des images retouchées. Elles sont conçues pour nous plaire, pour attirer notre regard sur des choses sur lesquelles on ne se focaliserait pas normalement. Le retouche a du bon comme du mauvais et avec l’arrivée permanente de nouvelles technologies dans nos vies, c’est une question qui n’a pas fini d’être traitée. La retouche peut être utilisée si elle est bien maîtrisée, mais cela dépend aussi du contexte et du message qu’on veut faire passer.
[1] Selon une note transmise à la Commission européenne, en novembre 2016