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  • Annabelle Bindl

Le poids des clichés : interview de Rencontres Tsiganes

Depuis 7 mois maintenant, le seul terrain d'accueil pour les gens du voyage de Marseille a fermé. Hormis des politiques de surveillance des familles, rien ne s'est amélioré, le terrain à proximité sert toujours de décharge, et l'on y prévoit la construction d'un stade de moto-cross. C'est le constat établit en septembre par Rencontres Tsiganes. Face aux discriminations incessantes et au manque de représentativité des tsiganes dans le débat public, PEPA a décidé de leur donner la parole.



rencontres tsiganes paca

http://www.rencontrestsiganes.asso.fr/



Le non-respect des lois en faveur des tsiganes et des gens du voyage, c'est précisément ce contre quoi lutte cette association basée à Marseille depuis 2003. Ses actions sont menées auprès de cette grande minorité d’Europe afin de les aider dans la reconnaissance de leurs droits, mais aussi auprès des responsables locaux pour s'assurer du respect des lois (1) .

L’association Rencontres Tsiganes n'est pas seulement un étendard pour cette population, elle multiplie ses actions sur le terrain pour vérifier directement la décence des conditions de vie, l'accès à la scolarisation, aux soins et à la régularisation : « L'intérêt de ces actions est relié à l'histoire de l'association. Elle a été créée pour lutter contre les discriminations qui touchent les populations tsiganes. Elle a commencé à travailler contre le non-respect de la loi sur les lieux d'habitats qui étaient censés être attribués aux tsiganes. Et puis il y aussi le problème des lois qui existent pour laisser des terrains d'habitation aux tsiganes, mais qui ne sont pas appliquées par les autorités. Par la suite, avec la venue des Roms migrants, les squats se sont reformés, et du coup on se bat pour qu'ils puissent vivre dignement » nous confie Rencontres Tsiganes.


Anciennement appelés bohémiens en Occident, les tsiganes, roms, gitans, manouches, etc forment une communauté trop souvent victime de discriminations. Ils sont régulièrement confondus en France avec les roumains, citoyens de Roumanie. Pourtant, aucune région d'Europe ne leur épargne le rejet comme le soulignait l'intellectuel tsigane Alexandru Danciu dans les années 1990. Plutôt assimilés en URSS, ils commencent à être exclus dès les années 1950 avec une série de lois visant à les contrôler : en Bulgarie où le nomadisme est interdit en 1958, à cette époque en Tchécoslovaquie il est même passible de prison, et en Hongrie on tente de les assimiler de force mais seuls 25% acceptent de se sédentariser.


Si les pays de l'Est ont par la suite développé une certaine tolérance en voyant l'intelligentsia tsiganes réclamer la reconnaissance de leur ethnie ; il n'en est pas de même pour la France qui dès 1895 associe les bohémiens aux vagabonds, puis les oblige à porter sur eux un carnet anthropométrique d’identité en 1912. S'il n'est pas nécessaire de rappeler le rôle de la France sur l'internement des tsiganes pendant le régime nazi (pour lequel elle s'excusera seulement en 2016) , il est important de souligner que le rejet de ces populations a continué. Le carnet anthropométrique a été remplacé par un carnet de circulation en 1969, il a perdu son caractère discriminatoire mais demeure une manière de surveiller une population dans un pays où la liberté de circuler est un droit essentiel.

Aujourd'hui le problème majeur est, comme le souligne Rencontres Tsiganes, le non-respect des lois mises en œuvres pour assurer un terrain d'accueil aux tsiganes et gens du voyage. Selon eux, plusieurs actions devraient être mises en œuvre par le gouvernement pour pallier à ces problèmes : « il ne faut pas confondre les gens du voyage qui eux sont des personnes qui choisissent ce mode de vie par passion pour le nomadisme. Pour eux, il faudrait que les lois d'installation des terrains pour les caravanes soient vraiment appliquées. A ne pas confondre avec la question des Roms migrants qui pose un tout autre problème car le contexte est différent. Ce sont des gens qui ont fui la Roumanie. Je dis Roumanie car les Roms de Marseille viennent principalement de là bas. Ils fuient leur pays pour des raisons économiques, et espèrent vivre mieux et accéder à la scolarisation pour leurs enfants en venant ici. Il faudrait que les autorités publiques assurent la lutte contre les habitats indignes dans lesquelles ils se retrouvent. » L’association souligne que cette tâche n'est pas irréalisable : « La plupart des gens ont l'impression qu'ils sont très nombreux à vivre ainsi, mais en fait ça représente une petite partie. Par exemple à Marseille il n'y a que 800 personnes dans ce cas-là (sur 1 743 990 habitants comptés dans le recensement en 2014, ndlr) »


Si ces discriminations se multiplient et ne semblent pas soulever de débat grand public, c'est qu'il est communément admis que les tsiganes sont différents et à part ; ils se définissent uniquement par ce mode de vie précaire, insalubre et hors-la-loi qu'on leur attribue. A tel point que le mot « gitan » est devenu pour certain une insulte. En réalité, on ne se soucie même pas des questions de tolérance et de racisme quand il s'agit d'eux, et les raccourcis sont souvent réalisés entre gitans et voleurs, même à la télévision à heure de grande écoute (comme l'émission C dans l'air sur France 5 du 11/02/2005 qui titrait « Délinquance : la route des roms » ) . Comment lutter contre les discriminations quand même la parole officielle partage un tel discours à leur égard ?


Cette grande méconnaissance des tsiganes est en partie due au fait qu'ils ne soient pas représentés dans le débat public, ni à la télé, ni à la radio, et n'ont pas de porte parole largement connu. La plupart du temps, on parle à leur place, on interroge des sociologues, des ethnologues, qui apportent un point de vue externe. Du coup, l'image qu'on leur donne est gorgée de clichés : « il y a deux aspects assez contradictoires. D'un côté on connaît les tsiganes par leur musique, on a l'image du tsigane guitariste, et là dessus il n'y aucun problème pour les gens. D'ailleurs, le jazz manouche plaît beaucoup. Mais quand il s'agit de ceux qu'on voit dans la ville, il y a un rejet, car les gens les associent à la saleté, à la délinquance, à des gens qui ne veulent pas travailler. C'est une image très négative. »


Mais alors, qu'est ce qu'être tsigane ? « Être tsigane, chacun le définit comme il le ressent. La communauté est multiple, c'est une réelle mosaïque. Il y a les gitans de Catalogne, les manouches d'Inde, les tsiganes qui est un terme générique pour toutes les populations, les roms qui eux viennent plutôt d'Europe de l'Est, tout dépend de l'origine. Chacun choisit de se définir soit par rapport à leur culture, soit par rapport à leur pays d'origine ou leur pays d'adoption. A côté de cela, mais c'est plus minoritaire, il existe des mouvements intellectuels qui se revendiquent vraiment de culture tsigane et veulent le mettre en avant. Ce sont des mouvements transnationaux qui ont une vision large et veulent réunir toutes les populations nomades d'Europe. » souligne Rencontres Tsiganes. L'association ne se concentre pas uniquement sur l'aspect légal de la condition tsigane, mais propose aussi une approche culturelle, essentielle pour comprendre. Elle abrite depuis 2011 un centre de ressources et de documentation au sein de ses locaux au Cours Julien à Marseille. « C'est une culture très riche et diverse. Il y a déjà les auteurs classiques, comme Jean-Pierre Liégeois ou Henriette Asséo. Ensuite nous à l'association on a un centre ressources et documentation avec des ouvrages, des films, de la musique. Mais pour commencer je pense que c'est bien d'aller lire les bases, car, comme dirait J.-P. Liégeois, leur culture est une véritable « mosaïque » . Il n'y a pas qu'une seule identité, même si ils ont une origine commune. C'est pour cette origine qu'on leur a donné le même nom, mais en réalité il y a de grandes diversités dans ces cultures. A Paris il y a aussi un super centre de documentation, la médiathèque Matéo Maximoff, qui comporte énormément d’œuvres et dans lequel on peut tout trouver sur les œuvres des tsiganes, et ce qui a été écrit sur eux par d'autres personnes. » L'intelligentsia tsigane a beaucoup été touchée par les épurations nazis, certains de leurs écrits ont disparus. C'est dans les années 1970 que se développent des partis politiques tsiganes, par exemple en Yougoslavie, en Hongrie ou en Roumanie, après que leur accès à l'université ait été facilité et ait engendré des élites intellectuelles tsiganes. De nombreux écrivains se sont levés pour clamer l'identité tsigane. Parmi eux, Matéo Maximoff (1917-1999) qui a donné son nom à la médiathèque ou encore Ceija Stojka (1933-2013) connue pour ses témoignages en tant que rescapée des camps nazis.


Une explication simple pourrait justifier ce rejet des tsiganes : la peur de l'inconnu chez l'Homme suscite le besoin d'identifier l'Autre pour se rassurer. Or, le mode de vie nomade ne permet pas de cerner les gens qui l'adoptent, ceux-ci sont sans cesse en mouvement. De là viendrait la peur du tsigane nomade. Pourtant, l'histoire le prouve, selon les études d'Henriette Asséo les tsiganes sont fixés depuis des décennies aux mêmes endroits d'Europe, parce que beaucoup ne parviennent pas à trouver du travail à cause des discriminations qu'ils subissent. Comment justifier alors le rejet qu'ils subissent ? Il semblerait que le manque de connaissances à leur sujet fabrique des clichés infondés qui ont la peau dure. Où qu'ils vivent, les tsiganes sont rejetés, et sont de loin le peuple le plus victime de racisme en Europe.


Annabelle Bindl

1 Loi Besson du 5 juillet 2000 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000583573

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