Alors que se démocratise de plus en plus l'accès aux films et aux séries, grâce à internet et aux plates-formes de streaming, la question de leur impact semble devenir prépondérante. Les séries, qu'elles soient dramatiques, animées, d'horreur, judiciaires, de science-fiction, ou des teens-dramas, passionnent et rassemblent de nombreux fans partout à travers le monde.
Les séries et feuilletons se sont installés dans le paysage audiovisuel français et international depuis les années 1980. Même si c'est généralement les 15-30 ans qui en sont les premiers adeptes, toutes les tranches d'âge sont touchées par cette expansion. Des heures de diffusion sont bien définies pour chaque auditoire : la matinée ou le milieu de l'après-midi à l'attention des ménagères, et des personnes âgées, après l'école pour les adolescents, ou en soirée pour les feuilletons familiaux. Ce temps passé à découvrir de nouveaux mondes, de nouvelles sociétés, à rencontrer des personnages différents, à en aimer certains, à en détester d'autres, nous influence forcément dans notre manière d'appréhender le monde. Mais jusqu'à quel point ?
Aujourd’hui on remarque aisément que les séries impactent nos relations. Cela s’explique par la manière dont on les perçoit et les interprète, mais aussi toute simplement parce qu’on en parle. En effet, dans de nombreux cas elles deviennent un sujet de discussion. Ceux qui ne regardent pas la dernière série à la mode peuvent se sentir exclus. Les séries, et plus particulièrement celles produites aux États-Unis, pénètrent notre quotidien que ce soit par l'alimentation, la mode1 ou les prénoms. Ainsi, en 2016, en Angleterre et au Pays de Galles, plus de 300 nouveaux nés2 ont été prénommés Arya, en référence au personnage joué par Maisie Williams dans la série Game of Thrones. En France, pour la même année, la mairie de Paris a comptabilisé 12 petites Aria et 5 Arya. Mais ce phénomène consistant à nommer son enfant d'après un personnage de fiction n'a pas commencé avec la série à succès Game of Thrones. Effectivement, en 1994, un an après le début de la diffusion de Beverly Hills 90210 en France, le nombre de Dylan3, Brandon4, et Brenda5 a grandement augmenté.
Bien souvent derrière le fil conducteur d'une série se dessine les histoires personnelles des personnages. Et que ce soit de par leur sexualité, leur maladie, leur handicap ou leur mal-être, tout ce qui les touche finit par soulever des débats après la fin de l'épisode.
Tout au long de la série 13 reasons why, le personnage principal Hannah Baker livre par des cassettes les raisons qui l'ont poussé à se suicider. Et alors que chaque épisode de la série se consacre sur le rôle joué par un personnage dans la vie d'Hannah et dans sa décision, des sujets difficiles tels que le viol, le harcèlement scolaire, la dépression et le suicide sont abordés. Après la sortie de 13 reasons why en mars dernier, la série a été au centre de beaucoup de débats, à la télévision, sur internet et les réseaux sociaux, mais aussi dans les écoles. Pour certains, la représentation franche du harcèlement subi par le personnage principal les a libérés : cette série a permis à plusieurs témoignages sur les difficultés connus par les jeunes au lycée ou collège de voir le jour. D'autres critiquent la vision directe du suicide. Ils voient dans la série une glorification de cet acte ou tout du moins une explication trop détaillée de celui-ci, qui pourrait pousser les jeunes à suivre cet exemple. L'influence de cette série a été retentissante, et a fait naître diverses controverses partout dans le monde (tel qu'aux États-Unis, au Canada, en Australie, ou en France).
Dans un autre registre, la série britannique Black Mirror fait dans chaque épisode une critique de notre société contemporaine et ses dérives. Que ce soit en pointant la notation poussée qui fleurit à propos de tout (Uber, restaurant, magasin, etc.), ou le désir de sauvegarder notre vie entière… chaque épisode fait référence à une histoire qui tourne au « cauchemar réaliste »6. Le but de cette série dystopique est que le spectateur s’interroge sur la relation de l’homme avec la technologie et ses limites.
La série brésilienne 3% se déroule dans un futur proche où la population est répartie entre les pauvres et les riches. Pour essayer de faire partie des élu(e)s, chaque année des candidat(e)s âgé(e)s vont tenter leur chance en disputant des épreuves pour prouver leur mérite. Les plus méritants, qui représentant 3% des candidats, seront alors invités à laisser derrière eux leur famille, leur quotidien, et leur maison pour aller sur l'Autre Rive. Ainsi, ce n'est pas par naissance qu'on acquiert des privilèges, mais bien grâce à ses actions. En plus des thèmes comme la fermeture des pays, l'inégalité des ressources ou la toute-puissance du gouvernement, le feuilleton aborde des questions plus philosophiques tel que « qu'est-ce qui vous rend plus digne d'intégrer un monde meilleur ? », ou « quelles sont les limites que vous êtes prêt à franchir pour tenter d'améliorer votre sort? ».
Black Mirror et 3% poussent le spectateur à avoir une réflexion personnelle. Le rapport entre les personnages et le public est différent d'une série classique. Chaque épisode vient heurter nos valeurs et notre routine. Au delà du divertissement, elles utilisent des éléments polémiques et choquants pour nous faire réagir.
Lors de l'annonce de l'abandon de la saison 3 de Sense8 en juin dernier, des réactions se sont fait entendre dans plusieurs pays. Des pétitions ont fait le tour du monde pour demander à Netflix de reconsidérer leur décision. Cette série a attiré beaucoup de fans grâce à l’histoire qu’elle raconte, mais surtout pour les valeurs qu'elle transmet. Elle prône l'amour, la différence, le respect, et l'entraide. Sense8 évoque des sujets comme le sexe, l'identité de genre, ou la politique, tout en véhiculant une nouvelle façon de voir le monde et les relations avec les autres. Cette série au propos positif a vu son sort être changé par une mobilisation planétaire. Les valeurs humanistes qu'ont voulu porter les réalisatrices ont été reçues par ses spectateurs comme un message d'espoir qui ne doit pas disparaître.
Bien d'autres séries abordent des thèmes difficiles, comme le viol et les rouages du pouvoir dans Game of Thrones, les dessous de la télé-réalité dans Unreal, ou le fonctionnement de la société américaine dans The Wire, etc.
L'empreinte des feuilletons peut alors avoir un double impact. D'un côté, une forme de mimétisme peut toucher des adolescents en pleine constitution de leur propre image et de la vie. Mais les séries représentent toujours une version idéalisée du quotidien, ne serait-ce que parce qu'il se passe toujours quelque chose. Voir comment se déroule une soirée dans Skins peut pousser à boire plus, ou à se droguer pour ressembler à ces « cool kids ». Autre exemple : certains vont magnifier la colocation et la vie d’adultes avec le modèle de Friends. S'ajoute à cela la tendance actuelle du "binge-watching"7 qui pousse à consommer toujours plus vite les épisodes, et ainsi peut entraîner une accoutumance.
De l'autre côté, l'évolution de la place des séries dans le paysage audiovisuel ouvre au débat que ce soit sur internet avec des inconnus ou dans une conversation avec des proches. L'importance des séries permet de faire passer des messages, d'inviter à réfléchir et à se questionner sur le monde dans lequel nous vivons. En effet, la question de la diversité est de plus en plus intégrée dans les séries, et des sujets sociaux comme la sexualité, la dépendance ou la maladie semblent être abordés plus facilement.
1 http://www.slate.fr/story/20357/gossip-girl-serie-magazine-de-mode
2 http://www.20minutes.fr/culture/2137811-20170924-prenoms-game-of-thrones-plaisent-parents-britanniques
3 Issu de https://dataaddict.fr/prenoms/?#
4 Idem
5 Idem
6 http://www.madmoizelle.com/black-mirror-164535
7 tendance qui consiste à regarder une saison ou une série entière en très peu de temps en enchaînant le visionnage des épisodes