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Elvire Colin-Madan et Annabelle Bindl

Parcs urbains : une bulle spatio-temporelle

Regarder les feuilles des arbres bouger, sans un bruit, puis s'assoupir et fermer les yeux. Les rouvrir et baisser le regard vers ce livre que l'on aurait presque oublié, posé là, sur les genoux. Sur ce pantalon de lin blanc que l'on a choisi de mettre ce matin car cette journée au parc s'annonçait claire, gaie et calme. « Galinette, dit-il, si nous avons encore quelques belles journées, c'est pas avec des bidons qu'il pourra sauver les maïs ». C'était qui Galinette, déjà ? Remonter quelques lignes plus haut pour se remémorer le chapitre, puis glisser à travers les pages, à travers les minutes sans les voir s'enchaîner. Le gravier qui craque, quelqu'un passe. Relever les yeux, sourire, et garder le visage relevé face aux allées sableuses du parc, qui apparaissent et disparaissent au gré des mouvements des pins.



Pourquoi venez-vous dans un parc ?

A cette question, j'ai obtenu presque toujours la même réponse.

« Je viens faire une pause. »



Nous écrivons aujourd'hui pour les parcs urbains, ces bulles de natures dans des villes qui courent à toute vitesse. Des bulles de nature maîtrisées par la main de l'Homme, mais qui ont le pouvoir de nous plonger, nous, citadins urbains, dans une parenthèse romanesque où le temps ne se compte plus.






Le parc, c'est donc une pause. Une pause en ville, pour beaucoup d'entre vous. Cette parenthèse verte, cette bulle d'air frais, exposée au soleil ou à l'ombre des feuillages.


Un groupe d'ami assis en cercle, un jeune homme en train de lire, une femme en tailleur mangeant un sandwich et consultant sa montre, une vieille dame observant l'entrée en attendant que sa camarade de banc la rejoigne.


On vient y chercher une rupture avec l'urbanisme. Le parc nous isole de ces bruits omniprésents. Il opère une sensation de coupure spatio-temporelle. Les routes et les rues parfaitement tracées se rompent à l'arrivée du parc. Tout paraît plus lent, plus loin, plus grand. Le temps se rallonge, rien ne pousse à traverser vite ou courir.


On vient à la rencontre des plantes, ces éléments à l'origine du monde qui se font rassurants pour les humains.

Mais le parc n'est pas une nature sauvage. On y vient car sa nature est accessible. Pas de voiture, pas de temps sur les routes pour y aller, le parc est sur ton chemin, à côté de ton école ou de ton travail.


Une nature maîtrisée, de laquelle on n'a conservé seulement les avantages. Elle est belle, calme, ses plantes confèrent repos et énergie positive. Elle se laisse approcher facilement, elle est moulée à taille humaine. L'un s'y assoit sans craindre ronces ou serpents, le visiteur tardif est guidé par ses lanternes, le rêveur s'arrêtera sur le kiosque près de la bastide.


Au contact de la nature, l'esprit s'ouvre. Les fleurs transmettent leurs pollens par le vent pour se reproduire, de même les idées s'envolent dans la brise pour se mélanger et s'enrichir. L'esprit vient puiser l'énergie dans les plantes pour nourrir sa créativité. Mais le parc reste un espace de nature dans une ville civilisée. La confrontation de ces deux aspects permet aux idées de se produire et se reproduire, tout en s'ordonnant dans un cadre social, culturel et civilisationnel.

 

Je méditais ; soudain le jardin se révèle

Et frappe d'un seul jet mon ardente prunelle.

Je le regarde avec un plaisir éclaté ;

Rire, fraîcheur, candeur, idylle de l’été !

Tout m'émeut, tout me plaît, une extase me noie,

J'avance et je m’arrête ; il semble que la joie

Était sur cet arbuste et saute dans mon cœur !

Je suis pleine d'élan, d'amour, de bonne odeur,

Et l'azur à mon corps mêle si bien sa trame

Qu'il semble brusquement, à mon regard surpris,

Que ce n'est pas ce pré, mais mon œil qui fleurit

Et que, si je voulais, sous ma paupière close

Je pourrais voir encore le soleil et la rose.

"Les Éblouissements"

Anna de Noailles

 





Au parc, on y est libre. Une liberté des idées, mais aussi une liberté du corps.


Assieds-toi où il te chantera, par terre ou sur un banc, dans l'herbe ou sur le sable. Enlève ton t-shirt pour sentir le soleil. Parle fort ou chuchote, amuse-toi ou réfléchis. Aussi longtemps que tu le souhaite. Pas besoin de consommer pour rester, ton temps n'est pas calculé. Pas besoin de te tenir droit et de rester à ta place, de mesurer ce que tu peux faire ou non, si tu en as la place ou l'autorisation.


Bouge, parle, ou ne fais rien. Ne te sens pas obligé de sortir ton téléphone, tes écouteurs ou de fumer. Ferme les yeux, ou observe. Tu peux être seul, personne ne trouvera cela gênant. C'est aussi la liberté de ne rien faire. Pourquoi devrait-on toujours paraître occupé pour être « normal ».


Au parc, on peut tout simplement s'asseoir et profiter, être occupé ou non.


Rester silencieux, ou parler à son voisin de banc. Rien n'oblige à la sociabilité, mais tout y pousse.


A ce propos, on pourrait écrire tout un article sur les bancs publics, mais en attendant vous pouvez toujours écouter la délicieuse BO du film du même nom.





Bancs publics, barrières de fer forgé, ponts en arc chevauchant des petits cours d'eau, rosiers taillés ou fontaines sculptées. On vient aussi au parc pour ses installations romantiques, ces statues métaphoriques et ces lanternes bordant les allées sinueuses qui nous font sentir comme dans une scène d'Amélie Poulain. L'espace d'un moment de bohème, romantique et romancé.


 

Il y avait un banc de pierre dans un coin, une ou deux statues moisies, quelques treillages décloués par le temps pourrissant sur le mur ; du reste plus d'allées ni de gazon ; du chiendent partout. Le jardinage était parti, et la nature était revenue. Les mauvaises herbes abondaient, aventure admirable pour un pauvre coin de terre. La fête des giroflées y était splendide. Rien dans ce jardin ne contrariait l'effort sacré des choses vers la vie ; la croissance vénérable était là chez elle. Les arbres s'étaient baissés vers les ronces, les ronces étaient montées vers les arbres, la plante avait grimpé, la branche avait fléchi, ce qui rampe sur la terre avait été trouver ce qui s'épanouit dans l'air, ce qui flotte au vent s'était penché vers ce qui se traîne dans la mousse ; troncs, rameaux, feuilles, fibres, touffes, vrilles, sarments, épines, s'étaient mêlés, traversés, mariés, confondus ; la végétation, dans un embrassement étroit et profond, avait célébré et accompli là, sous l'œil satisfait du créateur, en cet enclos de trois cents pieds carrés, le saint mystère de sa fraternité, symbole de la fraternité humaine.

Les Misérables,

Victor Hugo



Dans cet extrait, Victor Hugo dépeint un parc laissé à l'abandon, où la nature a repris ses droits. Un passage mélancolique, mais que nous pouvons admirer pour la qualité romanesque de sa description du parc.

 




Le parc a cette capacité de lier les humains et la nature, malgré l’environnement urbain qui prends de plus en plus de place. La nature est notre complément, elle est ce qui nous permet de vivre. Elle est aussi cet espace où l’on se retrouve avec soi-même, cet espace où l’ont fait une pause, où l’on respire. Nous nous servons des plantes tous les jours et l’écologie fait partie de notre quotidien.


« Ce sont les plantes qui font le monde » peut-on lire dans La vie des plantes, d’Emmanuel Coccia. Ce livre est une invitation, une réflexion sur notre vision du monde si anthropocentrée. Et si nous n’étions pas le centre du monde ? Et si nous nous placions du côté des plantes ?


Même si les plantes du parc sont contenues et maîtrisées, elles nous délivrent leur énergie. La vie des plantes permet d’interpréter cette énergie sous un nouvel angle, et sa place dans le monde.


D'après Coccia, les plantes n’ont pas besoin de nous pour survivre ; et nous avons besoin d’elles pour respirer. Dans la feuille se mélange l’atmosphère. Cet espace qu’on appelle atmosphère pourrait être décrit comme un « un espace où tout se mélange avec tout » mais sans supprimer l’identité des choses. « Nous habitons l’atmosphère », qu’il décrit comme un mélange, une immersion réciproque des éléments (mais sans fusion). Le souffle qu’on respire est pris dans une dynamique où l’air, notre contenu, devient contenant. Toute chose continue devient alors contenant et inversement. Ainsi, les plantes, les animaux et nous (les humains) seraient traversés pas le même flux ; « le souffle ».




Respirer. Souffler. Ressentir.

plonger sa main dans un champ de fleurs




Les fleurs sont omniprésentes dans les parcs. Elles y sont placées pour notre plaisir visuel. Mais elles seraient à l’origine du monde, puisque ce sont elles qui transforment l’atmosphère pour qu’elle soit vivable. Elles rendent possible la production de fruits et légumes, ainsi que la vie des animaux. Elles participent donc au bien-être ambiant des parcs.


La fleur pourrait nous apprendre ce qu’est la rationalité (une sorte de force cosmique). Tout au long de son texte, E. Coccia analysera les plantes selon trois parties : sa feuille, ses racines et sa fleur. La feuille, partie centrale du végétal, produit de l’énergie solaire : c’est ce qui lui permet de faire le monde. La racine serait le cerveau des plantes. C’est un organe ambigu, qui occupe deux milieux simultanément (terre et air). La fleur enfin serait l’incarnation de la rationalité car elle produit la semence (matière qui produit quelque chose, qui produire quelque chose et ainsi de suite).


Que ce soit dans les mythes, dans l’art, dans la nature ou juste dans un vase dans votre salon : la magnificence des fleurs fascine. Elles ont ce quelque chose qui nous fait dire qu’elles sont belles. Leurs couleurs ? Leurs senteurs ? Leurs formes ? On ne saurait trouver une réponse.


Arpentez vos villes, profitez des parcs, des fleuristes, des jardins ouverts. Appréciez les plantes autrement, apprenez à regarder autrement l’environnement qui vous entoure. Il est vivant, il évolue. Baladez-vous au printemps, en été, en automne ou en hiver et vous verrez. Les bourgerons deviendront des fleurs, les jeunes pousses deviendront des plantes, les racines deviendront des troncs, puis des arbres. Au même titre que nous avançons dans nos vies, la nature fait de même.





Il n’est pas rare que la nature inspire. Elle est propice au calme, à la solitude, à la réflexion, à la douceur. C'est ce qu'exprime Kupla, jeune artiste londonien, dans son album All Nature, en s’inspirant du cycle des saisons.


A écouter sur un banc, à l'ombre d'un platane, bien sûr.



Et vous, comment utilisez-vous les parcs dans votre quotidien urbain ?

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