L’année dernière je vous proposais un article sur le festival de photojournalisme Visa Pour L’image [1], et cette année, c’est avec plaisir que je suis allée déambuler dans les rues d’Arles à l’occasion de la 49e édition des Rencontres Photographiques qui a eu lieu tout l’été [2]. Comme pour les expositions de Visa Pour L’Image, celles d’Arles sont présentées dans divers lieux de la ville. Le festival attire près de 125 000 visiteurs par an pour 36 expositions « officielles » ainsi que de nombreuses expositions non-officielles qui parsèment les rues.
Les expositions proposées ont été axées autour de plusieurs thèmes, parmi lesquels nous retrouvons 3 grandes séquences : AMERICA GREAT AGAIN ! (Robert Frank à Laura Henno, 60 ans de chroniques américaines), COURS CAMARADE, LE VIEUX MONDE EST DERRIÈRE TOI (Révoltes, utopies, basculement : 1968, l’année qui a changé le monde) et HUMANITÉ AUGMENTÉE (Du transhumanisme à l'introspection, naviguant entre les extrêmes d'une croyance commune en l'homme, nous avançons vers demain...).
Les rencontres d’Arles sont devenues incontournables car elles permettent de représenter le monde de la photographie tel qu’il est actuellement : elles sont un condensé de culture, et chaque année, on peut y retrouver de grands noms.
L’exposition inévitable : Le dernier testament de Jonas Bendiksen (à l’Église Saint-Anne)
« Le Dernier Testament de Jonas Bendiksen se penche sur sept hommes qui, tous, prétendent être le Messie redescendu sur Terre. Grâce aux portraits intimistes de Bendiksen et aux témoignages dont il se fait l’écho, Le Dernier Testament explore les limites de la foi religieuse, au sein d’un monde qui semble avoir désespérément besoin d’une rédemption et se languir de la venue d’un nouveau prophète. » [3]
Cette exposition m’a particulièrement frappée grâce à son accrochage percutant mêlé aux histoires de ces hommes. Sept séries d’images (correspondant aux sept histoires) sont proposées dans les petites chapelles de l’Église : chaque personne a son histoire et pense être le seul et unique Messie de Dieu. Cette exposition les contredit : ils sont au moins sept ! Les images produites par Jonas Bendiksen sont à mi-chemin entre des photos de reportage et des photos artistiques. Avec un souci du détail et une qualité impressionnante, les immenses tirages, ainsi que les plus petits formats sont accompagnés de textes qui nous introduisent dans ces histoires touchantes, et parfois drôles. En effet, le photographe a suivi ces hommes dans leur quotidien et en a tiré des images documentaires, représentatives de qui ils étaient et de ce qu’ils véhiculaient. Il a aussi su raconter avec justesse leur façon de voir les choses, sans les ridiculiser, ni les rabaisser. Ses images mêlent intensité et bienveillance dans une esthétique propre à l’artiste, ce qui permet d’obtenir de magnifiques clichés.
L’exposition illusion : Le village Potemkine, de Gregor Sailer (au Cloître Saint-Trophisme)
« L’expression « village Potemkine » remonte au Prince Grigory Aleksandrovich Potemkine, ministre russe qui, pour masquer la pauvreté des villages lors de la visite de l'impératrice Catherine II la Grande en Crimée en 1787, aurait prétendument fait ériger des villages entiers faits de façades en carton-pâte. Gregor Sailer documente ici ce phénomène architectural en photographiant entre 2015 et 2017 les villages Potemkine modernes : des centres d’exercice militaire aux États-Unis et en Europe aux répliques de villes européennes en Chine, en passant par des pistes d’essais de véhicules en Suède ou encore des rues entières mises en scène pour la visite de personnalités politiques. » [4]
Ces photos pâles et épurées, aux aspects nordiques, nous montrent le caractère artificiel de tous ces espaces oubliés. Regarder ces photos fut pour moi une satisfaction visuelle : elles sont bien construites, géométriques, sereines et surtout, de par leur caractère inhabité, elles dégagent quelque chose qui relève de la poésie et de l’imagination. Elles nous plongent dans un univers visuel doux, grâce à une palette de couleur très homogène, ainsi que dans un univers mental plus rude lorsqu’on se rappelle pourquoi ces images existent. Il ne faut pas oublier les absurdités politiques que ces images révèlent. Finalement, en me baladant dans cet espace, j’ai presque eu la sensation d’être seule dans ces endroits déserts.
L’exposition historique : The Train, le dernier voyage de Robert F. Kennedy de Paul Fusco, Rein Jelle Terpstra et Philippe Parreno (à l’Atelier des Forges)
« Le 8 juin 1968, trois jours après l’assassinat de Robert F. Kennedy, son corps était transporté dans un train funéraire de New York à Washington. The Train se penche sur cet événement historique à travers trois travaux distincts. Le premier est constitué d’un ensemble de photographies couleur de Paul Fusco. Prises depuis le train funéraire, les images capturent des personnes endeuillées alignées le long des rails. Depuis une perspective opposée, le second travail présente des photographies et des films amateurs réalisés par les spectateurs eux-mêmes et rassemblées par l’artiste hollandais Rein Jelle Terpstra. Enfin, l’œuvre réalisée par l’artiste français Philippe Parreno est une reconstitution, sur un film 70 mm, du voyage du cortège funéraire [...]. » [5]
Situées dans à l’Atelier des Forges, ces trois expositions fonctionnent ensemble : chacune permet d’avoir un point de vue différent sur un même évènement. L’évènement dont parle cette exposition est historique dans le sens où il traite de la mort d’un homme politique, R. F. Kennedy, dont la mort fut importante pour les Américains. Les photographies prises en ce jour sont alors devenues des archives de l’histoire américaine. Les premiers clichés présentés sont ceux de P. Fusco, qui documente l’évènement et prend des photos des gens endeuillés à travers la vitre du train dans lequel lui-même a une place. La seconde perspective est celle de Rein Jelle Terpstra, enrichie par ses recherches et sa documentation, qui propose un nouveau point de vue : celui des endeuillés. Enfin, le dernier projet est celui de Parreno, serait selon lui une façon de « montrer le point de vue du mort ». Enfin, ce travail est aussi un mélange des époques, car les deux premiers travaux proposent des photographies prises en 1968 alors que le film de Parreno, date de 2009 (il a reconstitué les scènes, des années plus tard). C’est avec une certaine habileté que le commissaire de cette exposition a su rassembler ces travaux et les rendre cohérents.
L’exposition drôle : Être Humain de William Wegman (au palais de l’archevêché)
« Artiste américain aux talents multiples, William Wegman résiste à toute classification trop simple : il évolue habilement entre la peinture, le dessin, la photographie, la vidéo. Bien que ses fameux braques de Weimar ne soient pas présents dans tous ces médias, ils sont au cœur de son art. À la fin des années 1970, Wegman trouve dans l’impression Polaroid grand format son moyen d’expression favori — un format d’impression parfait, des couleurs magnifiques et une « instantanéité » qui favorisait la spontanéité. Si le monde de Wegman semble tourner autour de ses braques de Weimar, est-il pourtant question ici de chiens ? Être humain semble indiquer le contraire : ces modèles, ce sont nous ; et nous sommes eux : femme au foyer, astronaute, avocat, prêtre, ouvrier agricole, et même… promeneur de chiens ! Tandis que certains posent fièrement et avec assurance devant l’objectif, d’autres expriment doutes et vulnérabilités : tout est question d’être humain. » [6]
Une de ses photos ayant été choisie pour représenter les Rencontres d’Arles cette année, il était donc évident d’aller visiter l’exposition de William Wegman. C’est avec un sourire que je suis sortie de cette dernière. Wegman manie ses chiens, comme ses appareils photos, avec pertinence et excellence. Malgré une certaine redondance (ce sont des centaines de photos de chiens) chacune est différente et trouve sa place. Le sujet de fond trouvé, W. Wegman s’est concentré sur l’esthétique de ses images tout en continuant d’humaniser ses chiens. Il réalise des photos, fortes en couleur, qui relèvent du domaine du quotidien, de celui de la mode, ou du simple détail, et dans lesquelles où l’on peut facilement se retrouver.
L’exposition Espoirs : L’art de la Couleur, Prix Dior de la Photographie pour les Jeunes Talents (à l’Atelier des forges)
Cette exposition est un peu particulière car elle se situe dans la Grande Halle, à l’Atelier des Forges mais ne fait pas partie des expositions officielles d’Arles. Cependant, elle est gratuite et est placée géographiquement entre des expositions officielles, il est donc simple d’y entrer par curiosité. Elle regroupe le travail des huit jeunes lauréats du concours lancé par Dior.
« Développé en partenariat avec l’École Nationale de la Photographie d’Arles et accueilli par le centre LUMA Arles, le concours s’inscrit comme une carte blanche autour de la thématique « Woman – Women Faces » et de trois mots-clés se voulant représentatifs de la Maison Dior : la beauté, la couleur et la féminité. » Le jury, composé notamment de Maja Hoffmann, et présidé par Peter Lindbergh, a permis de mettre en avant ces huit jeunes lauréats internationaux, étudiants ou diplômés en école de photographie. » [7]
Ce qui m’a plu dans leur travail, c’est de m’y retrouver. Toutes ces images ont été faites par des jeunes photographes de ma génération, et ils parlent de celle-ci avec justesse. Les photos présentées ici amènent à l’imagination, à la contemplation, ou encore à l’identification de soi : au final, tout le monde s’y retrouve. L’utilisation obligatoire de la couleur leur confère une énergie particulière (et surtout lorsque l’on sort de plusieurs expositions en noir et blanc). Les couleurs vives couplées à l’accent mis sur la beauté et l’esthétique permettent une sorte d’unité visuelle, bien que chaque travail soit distinct. Ces photographies poignantes, fortes en couleur et élégance, dégageaient quelque chose de novateur et prometteur : j’attends avec impatience de voir leurs futurs travaux !
[1] Qui a lieu chaque année à Perpignan en septembre (cette année : du 01/09 au 16/09)
[2] Elles se déroulent durant les deux mois d’été mais quelques expositions restent ouvertes jusqu’à mi-septembre.
[3] https://www.rencontres-arles.com/fr/expositions/view/230/jonas-bendiksen
[4] https://www.rencontres-arles.com/fr/expositions/view/237/gregor-sailer
[5] https://www.rencontres-arles.com/fr/expositions/view/225/the-train-le-dernier-voyage-de-robert-f-kennedy
[6] https://www.rencontres-arles.com/fr/expositions/view/241/william-wegman
[7] https://journalduluxe.fr/dior-art-of-color-arles/