Depuis toujours, je suis plusieurs mais on veut de moi que je ne sois qu'une. Mon sexe a défini ma fonction. Depuis l'Antiquité, les penseurs m'ont identifié comme le double inachevé de l'homme. Le beau sexe contre le sexe fort. Par opposition à l'être chaud et sanguin, je ne serais qu'un être froid d'après Gallien.
Peinture murale de Mars et Vénus du Museo Archeologico Nazionale, Naples
Au XVe siècle, s'est développé l'idée que l'utérus gouverne mon corps. Ma prédestination à la maternité était alors si ancrée dans les mentalités, que les critères esthétiques qui me déterminaient devaient être le reflet de mon aptitude à enfanter. J'ai été limité à une taille fine, un bassin large et une forte poitrine. Ma finesse et ma douceur se reflétaient à travers de petites mains, de petits pieds et une peau blanchie. Au XVIIIe siècle, l'apparence prend alors une importance capitale dans les caractéristiques qu'on me prête avec le regain de sociabilité. Les soins de beauté, les vêtements mettant en avant la taille fine et les jupons exagérant les hanches servent à me mettre en avant.
Madame de Pompadour par François Boucher, 1759
Il semblerait d'après les mentalités de l'époque qu'on ne peut pas me retrouver dans les traits de l'ouvrière et de son corps anguleux. La montée en puissance de la bourgeoisie me positionne en synonyme de la couleur, de l'excès dans la tenue, et me donnant ainsi une position d'invalide : les vêtements imposants qui doivent être mon reflet empêchent les femmes de courir, de travailler ou même de manger seule.
La Promenade par Pierre-Auguste Renoir, 1870
Je deviens la vitrine de la richesse et de la réussite de mon époux. Je suis pour Freud une énigme, qui se résoudrait grâce au complexe de castration et à l'idée de passivité. Il ne m'a abordé qu'à travers l'homme, faisant ainsi ma construction en comparaison de la masculinité. Je ne peux pas être conçue sans prendre en considération la différence des sexes. La masculinité et moi avons été défini en opposition et en complémentarité. Nombreux sont ceux qui m'associent aux mystères de la vie, à l'infans et à la nature.
La naissance de Vénus par Sandro Botticelli, 1484-1485
Je ne serais « pas-toute » selon Lacan. Et finalement, je relèverais d'une position qui prend tout son sens dans la maternité. Je transparaîtrais à travers le caractère, et des traits moraux spécifiques tel que la sensibilité, la tendresse, la compassion, la patience ou la naïveté. L'idéalisation de la femme innocente, pure et pudique au XIXe s va me définir sous un nouvel angle. La sexualité prend avec le temps une plus grande place dans ma conception, tout comme la séduction. On dit parfois, que je n'existe que parce que la femme a envie de charmer un homme. Je me résume bien souvent à un corps, un déhanché, une coiffure bien appliquée. Les contradictions qui m'entourent ne cessent d'exister. A partir de la fin du XIXe s, la silhouette de la femme doit s’amincir et son corps se muscler avec le développement du sport et des loisirs, tout en gardant la douceur d'un corps maternel. Mais, malgré l'injonction de la minceur qui commence à s'installer, le sport pour les femmes n'est pas bien perçu dans la société. A partir des années 1960, je vais être utilisée pour libérer la femme. Elles veulent se réapproprier ma notion, et ainsi leurs corps. Ma définition a changé suivant les époques, l'espace et les classes. La pluralité semble acquise aujourd'hui, même si je suis toujours érigée en modèle unique.
Paris Match, défilé en maillot de bain de Miss France 2016
Je relève de la représentation, des rituels par lesquels se construisent des images qui servent de modèles. Dans l'imaginaire collectif j'ai représenté un idéal précaire, que l'on pouvait perdre comme le pense André Comte-Sponville. Mais j'essaye d'affirmer mes différences car j'existe à travers chaque être humain, et je suis représentée par tous.tes. Je ne suis pas que le reflet et l'inverse de la masculinité. Je suis la féminité, et je suis aussi complexe que vous.
Féminité, nom féminin: psychologie :
« Ensemble des ,,caractéristiques différentielles admises de la femme, liées biologiquement au sexe pour une part mais, pour une plus grande part conditionnées par l'influence du milieu sociopolitique et religieux`` » Piéron, 1973
Le titre fait référence à la citation de Virginie Despentes, auteure et réalisatrice: "Cette histoire de féminité c'est de l'arnaque".
Image de couverture: Credit: Lóránd Gelner / Vetta