Exposés et convoités : voici une manière de qualifier celles et ceux qui travaillent dans l’humanitaire. Les représentations autour de ce métier se divisent entre l’image de « l’expat », voire du néocolonialiste pour certains, et celle du professionnel, un être humain qui est prêt à se confronter au danger. Pour avoir une vision plus précise sur le travail humanitaire, PEPA vous propose cette semaine le témoignage d’Aurore, jeune agent salarié d’une organisation humanitaire travaillant actuellement au Mali.
Le parcours d’Aurore : des attentes à la réalité
Lorsqu’elle était au lycée elle a décidé qu’elle ferait de l’humanitaire. Mais Aurore n’avait alors que très peu de connaissances sur le métier. Ses attentes étaient de l’ordre de la poursuite de valeurs : faire « quelque chose » face aux situations intolérables qui nous sont données à voir. Ses études supérieures se sont orientées vers une formation juridique. Elle a alors réussi à définir que ce « quelque chose » qu’elle souhaitait faire était de l’ordre de la défense des droits des populations vulnérables.
Les réalités du terrain, après son Master de droit, ont fait évoluer les « valeurs » qui l’avaient portées jusque-là. Elles ont été confrontées au travail concret que l’on attend d’un agent humanitaire : « je n’allais donc pas sauver les gens directement, j’allais travailler devant un ordinateur ». Elle s’est ensuite spécialisée et formée à la gestion de crises humanitaires et de développement, ainsi qu’à la gestion des catastrophes naturelles. Elle a compris que désormais « il fallait être efficace, professionnel, actif et acharné pour que la présence d’un jeune universitaire se justifie dans un pays où il ne connait rien ou presque ».
Elle insiste sur le fait qu’elle n’est jamais envoyée sur le terrain sans préparation. Tout est fait pour qu’elle puisse assumer ses responsabilités, finalement comme dans tout domaine professionnel. Elle ne nie pas que cela peut être une source de stress car demeure toujours l’inquiétude de bien faire. La formation n’est jamais exhaustive quand il s’agit des rapports entre les hommes, donc il peut arriver qu’elle soit confrontée à des situations auxquelles elle n’a pas été préparée. Dans ce cas « tu fais de ton mieux, tu ne t’isoles pas, tu acceptes de te tromper, de demander de l’aide et d’entendre les conseils ».
Le statut des salariés de l’humanitaire : formation universitaire et vie privée
Il est impossible de dresser un portrait type du jeune qui travaille dans l’humanitaire tant les profils sont variés. En ce qui concerne les universitaires, ils ont un niveau Bac +5 ou plus. Aurore dit que « la base est commune, celle d’être au service de valeurs humaines ». Mais elle ajoute que « nous avons tous des projets et des visions des choses différentes ». Chaque individu a été poussé sur cette voie de manière différente, les aspirations sont diverses et la manière de les poursuivre également. Les ONG ont en effet besoin de profils très différents, de plusieurs types de spécialistes : juristes, médecins, infirmiers, logisticiens, agronomes…
Ils ont choisi ce métier qui les oblige à un certain mode de vie, et Aurore rappelle que « nous sommes souvent contraints au nomadisme en fonction des besoins dans différents endroits du monde ». Ces jeunes mènent bien évidement une vie privée différente des standards ordinaires qui prônent la stabilité et l’équilibre. Ne parlons pas cependant de sacrifices, ou de mettre en parenthèse sa vie au profit de celle des autres… Ce n’est pas comme ça qu’Aurore, et les autres personnes travaillant dans l’humanitaire, envisagent les choses. En effet, elle nous a confiée : « ce métier est une partie de moi-même ».
La vie privée et la liberté individuelle des salariés de l’humanitaire est au cœur des problématiques du métier. En effet, d’un point de vue déontologique, les organisations humanitaires défendent la liberté, les droits et les devoirs de leurs employés. Aurore n’a pas manqué de nous rappeler que tout travailleur doit alors incarner individuellement les valeurs de l’humanitaire : solidarité, altruisme, partage, égalité, humanité, liberté… Cette réalité sous-entend que l’éthique du salarié doit être conforme à celle de l’organisation pour laquelle il travaille. C’est parce que la réussite de l’aide humanitaire est intrinsèquement liée à la confiance que les organisations inspirent.
La question de la vie privée des employés s’est retrouvée au centre de la scène médiatique avec le scandale Oxfam en février 2018. Cette organisation britannique est mise en cause car elle aurait dissimulé les comportements criminels de plusieurs employés, dont des accusations de viols ou d’abus sexuels. Erwan Queinnec résume assez bien la situation dans un article paru sur le site The Conversation France, titré « peut-on vraiment contrôler la vie privée des employés dans les ONG ? » Pour ces dernières, et surtout pour Oxfam, le juste équilibre est difficile à trouver entre le respect des principes primordiaux de l’humanitaire (la confiance et la liberté individuelle de ses agents) et la gestion efficace des abus individuels, ainsi que la nécessité de transparence vis-à-vis des financeurs.
Les expats et les employés locaux : deux statuts différents ?
A travers le témoignage d’Aurore, il est surtout question des salariés formés à l’université. Mais il y a également de nombreux travailleurs dits manuels, dans le domaine du bâtiment, du transport ou de l’agriculture par exemple. Aurore dit que dans l’humanitaire tous les corps de métier sont présents. Et il ne faut bien évidement pas oublier les nombreux bénévoles qui réalisent des missions pour une période donnée. Un point commun entre tous ces travailleurs est leur statut d’expatrié. Mais ils ne sont pas les seules personnes qui travaillent pour les organisations. L’aide fournie ne peut exister sans le soutien précieux des locaux employés par les ONG. Ils connaissent la réalité du terrain et ils permettent aux expatriés de mener à bien leurs missions : l’aide humanitaire est avant tout une question de solidarité entre les êtres humains.
Carte du monde selon Amnesty internationale. Traduction du message en bas de l’image : « Tout le monde se bat contre tout le monde. Il faut bien que quelqu’un se batte pour eux ».
Les organisations humanitaires ont cependant été critiquées à plusieurs reprises, surtout pour la manière dont sont traités les salariés locaux par rapport aux expatriés. Par exemple, il est possible de lire dans un article publié dans Courrier International (parution d’origine dans The Guardian) un témoignage expliquant la grande différence de salaire entre un local et un expatrié pour un emploi équivalent. Un natif du pays est toujours sous-payé et il doit négocier pour avoir un salaire décent. Une interprétation souvent faite est de faire le lien entre cette pratique et l’héritage colonialiste. L’idée (fausse) que le groupe des expatriés occidentaux serait mieux placer pour subvenir aux besoins des populations vulnérables que celui des employés locaux du « Tiers-Monde » persisterait dans les mentalités contemporaines. Et c’est justement cette différence de statut entre local et expat qui entretiendrait les traces néfastes qu’ont laissées les années de colonisation.