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Pauline Scié

« La poésie est une lettre d'amour adressée au monde »

La poésie est un art lyrique, un genre littéraire qui tend à mettre en avant le rythme entre les phrases, l'harmonie entre les mots. Le poète fait émerger des images à travers sa prose, il incite à voyager, à réfléchir, à prendre du recul. Il se livre, invite, provoque, étourdit, embrase le cœur et la tête, embrasse le monde et par là il se fait connaître ou reconnaître. La poésie ouvre de nombreuses voies. Ainsi, le poète portugais Al Berto croit « en la poésie comme unique langage possible. Si Dieu existe, c'est par elle que nous pourrons Lui parler. Les métaphores seraient le résidu de quelque chose qui nous échappe. ». Aujourd'hui, PEPA s'intéressera à la poésie, et plus particulièrement à celle venue des pays lusophones avec des poèmes de Thiago de Mello, Lêdo Ivo, Fernando Pessoa, et Luís de Camões. Cette sélection n'est pas exhaustive, elle a simplement pour idée de vous faire partager quelques extraits qui peut être susciteront chez vous une envie d'en découvrir plus.



Thiago de Mello est un poète et traducteur Brésilien. Il est, l'un des poètes les plus influents et respectés de son pays, reconnu comme une icône de la littérature régionale. Arrêté pendant la dictature (1964-1985), il s'exile au Chili. C'est là-bas qu'il écrira son œuvre la plus connue : The Statutes of Man, où le poète attire l'attention du lecteur sur les valeurs simples de la nature humaine.

Son livre Poésie Engagé pour moi et votre vie, lui a valu en 1975, même pendant le régime militaire, un prix décerné par l'Association São Paulo des critiques d'art. Cette reconnaissance va le faire connaître internationalement comme un intellectuel engagé dans la lutte pour les droits de l'homme.



Extrait : Les Statuts de l'Homme, 1964

Article 1

Il est décrété que maintenant la vérité existe, que maintenant la vie existe et que la main dans la main nous travaillerons tous pour la vraie vie Article 2

Il est décrété que tous les jours de la semaine, y compris les mardis les plus gris, ont le droit de devenir des matins de dimanche.

[…]

Article 12

Nous décrétons que rien ne sera ni obligatoire ni interdit Tout sera permis et surtout de jouer avec les rhinocéros et de se promener par un bel après midi avec un immense bégonia à la boutonnière

Une seule chose est interdite : aimer sans amour.

Article 13

il est décrété que l'argent ne pourra plus jamais acheter le soleil des matins à venir. Banni du grand coffre de la peur l'argent se transformera en une épée fraternelle qui défendra le droit de chanter et la fête du jour qui est arrivé. Article final

Est interdit l'usage du mot liberté, lequel sera supprimé des dictionnaires et du marécage trompeur des bouches. À partir de cet instant la liberté sera quelque chose de vivant et transparent comme un feu, comme un fleuve, ou comme la semence du blé, et sa demeure sera toujours le cœur de l'homme.

 

Artículo Final Queda prohibido el uso de la palabra libertad, la cual será suprimida de los diccionarios y del pantano engañoso de las bocas. A partir de este instante, la libertad será algo vivo y transparente, como un fuego o un río, o como la semilla del trigo y su morada será siempre el corazón del hombre.

Dans cette chanson Guts met en musique les paroles poignantes des Statuts de l'Homme


Lêdo Ivo est un poète, journaliste, et traducteur brésilien. Il a été l'un des écrivains les plus influents du mouvement moderniste(1) brésilien et un des hommes de la génération dite « des années 1945 ». Ses débuts littéraires commencent en 1944 avec la parution du recueil de poèmes As Imaginações. Son recueil publié en 1945 Ode e Elegia, est décrit comme un ouvrage marquant dans l'histoire de la poésie brésilienne, et fut même récompensé d'un prix par l'Académie brésilienne des lettres. L'un de ses plus grands succès reste le roman Ninho de cobras paru en 1973 et qui est une allégorie du totalitarisme sous la dictature militaire brésilienne des années 1970. L'ouvrage Réquiem, écrit après la mort de sa femme est publié en 2008. Ce long poème, divisé en huit parties, est un témoignage de la vie, dont je me suis permis d'extraire un seul chant.


Extrait : Réquiem, 2005-2006

V

Heureux celui qui part, et non celui qui arrive dans un port putride. Heureux ceux qui partent et ne reviennent jamais. Pourvu que je reste à mi-chemin et que mon voyage ne s’achève jamais. Heureux qui ne connaît pas le terminus. Heureux ceux qui additionnent dans le brouillard, qui ouvrent les fenêtres quand naît le matin, qui allument les lumières des aéroports. Heureux qui traverse les ponts quand l’après-midi se pose comme un oiseau entre les gazomètres. Heureux qui possède une âme distraite. Heureux qui sait qu’à la fin de la traversée le Néant l’attend, comme un épouvantail dans un champ de maïs. Heureux qui ne se sent à l’aise que dans la perte et le vent. Heureux qui a vécu plus d’une vie. Heureux qui a vécu d’innombrables vies. Heureux qui disparaît lorsque les cirques s’en vont. Heureux qui sait que toute source est un secret. Heureux qui aime les tempêtes. Heureux qui rêve de trains éclairés. Heureux qui a aimé les corps et non les âmes, qui a écouté le hululement des chouettes dans le silence de la nuit. Heureux qui a trouvé une syllabe perdue sur le gazon humide de rosée. Heureux qui a traversé la nuit obscure et la brume inopportune, qui a vu naître le feu crépitant dans les grands bûchers de juin, le ciel s’ouvrir comme un dais pour accueillir le vol de l’épervier. Heureux qui demeure dans les îles périphériques, enveloppé d’un nuage de fourmis volantes au crépuscule. Heureux les sédentaires qui un jour ne l’ont pas été.



Fernando Pessoa est l'un des plus grands écrivains portugais. C'est aussi un critique, polémiste et poète qui produisit des œuvres en anglais et en français. Ces travaux ont été les moteurs de l'importation du modernisme au Portugal. Ces diverses productions se répartissent entre poèmes, théâtre, fictions, essais littéraires et philosophiques. Malgré leurs différences, elles sont unies par l'idée que Fernando Pessoa n'est personne, mais qu'il est plusieurs. Ainsi, il écrivit sous son nom et sous plusieurs autres, s'inventant de nouvelles identités par la création d'auteurs qu'il dotait d'un style et de références propres. Ses trois hétéronymes les plus célèbres sont Alberto Caiero, Ricardo Reis, et Alvaro de Campos. On ne peut pas résumer son œuvre tant il est dans chaque personnage qu'il a créé mais aussi le poète seul.

Ses œuvres, pour la majorité, n'ont été découvertes qu'après sa disparition. Des recueils de poésie ont ainsi été composés par des éditeurs, et notamment l'ouvrage Nouvelles Poésies Inédites dans lequel sont recueillis plusieurs poèmes satiriques du poète.


Extrait : L'enfant que j'ai été pleure sur le chemin

L'enfant que j'ai été pleure sur le chemin.

Je l'ai quitté en devenant ce que je suis ;

Mais aujourd'hui voyant que je ne suis plus rien,

Je veux aller chercher cet enfant que j'ai fui.

Ah, comment le trouver ? Celui qui s'est trompé

A l'aller, au retour se trompera aussi.

Je ne sais plus d'où je suis venu, où je suis.

Alors tout mouvement de mon âme a cessé.

Si je pouvais atteindre un haut sommet au moins,

Le haut d'une colline, pour y distinguer

Ce que j'ai oublié, m'en souvenir enfin,

-Dans cette absence au moins je me reconnaîtrais-,

Je trouverais, voyant ce que j'étais au loin,

En moi un petit peu de l'enfant que j'étais.



Luís de Camões est un auteur du XVIe siècle, considéré encore aujourd'hui comme le poète national du Portugal. Il est à l'origine de poèmes qui s'inscrivent dans la tradition médiévale littéraire portugaise, d'une œuvre lyrique, de trois comédies, et d'une épopée, Les Lusiades. Cette dernière œuvre a une grande renommée puisqu'elle chante la gloire des Portugais, et notamment de Vasco de Gama. Tous ces sonnets ont été regroupés dans un ouvrage nommé Sonetos qui comporte plus de cinquante poèmes.


Extrait : Cette si triste et si joyeuse aurore

Cette si triste et si joyeuse aurore,

qui fut de peine et de pitié emplie, tant que les cœurs sauront la nostalgie

qu'à tout jamais on se la remémore.

Elle seule irisée, douce, naissant

pour donner sa clarté au monde entier,

vit d'un désir un autre s'éloigner,

qui jamais ne pourra s'en voir distant.

Elle seule perçu les flots de larmes

des yeux de l'un et de l'autre couler,

se mêler en un ample fleuve large.

Elle seule entendit les mots navrés

qui auraient pu faire le feu geler,

et apaiser les âmes condamnées.



 

(1) C'est un courant artistique né dans les années 1920 qui s'inspire des mouvements artistiques avant-gardistes européens tels que le cubisme ou le futurisme en intégrant des éléments de la culture et histoire brésilienne.


 

Le titre est une citation de Charlie Chaplin issue du livre Histoire de ma Vie, 1964: "La poésie est une lettre d'amour adressée au monde"


Image de couverture: Guts, Paradise for All, 2011

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