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Pauline Savéant

Paroles de jeunes corses sur l’histoire, la culture et l’indépendance

Dans l’actualité, vous avez sûrement entendu parler des succès électoraux des indépendantistes et autonomistes corses. Cette réalité pose la question du renouvellement ou de l’évolution de ce mouvement politique et culturel qui existe, dans sa définition contemporaine, depuis les années 1970. C’est surtout l’apport de la jeune génération qui a intéressé PEPA. Nous avons discuté avec Pierre-Paul, Alexis et Louis, trois étudiants corses, sur le sentiment que leur génération accorde à la question de l’indépendance de l’île. Ils nous éclairent sur ce qu’est être jeune et corse en 2018 au-delà sur clivage Corse/métropole, caricaturé à bien des égards.


Pierre-Paul est étudiant en Master d’histoire contemporaine à Corte et est favorable à l’indépendance. Il est engagé dans le renouveau de l’historiographie en Corse au sein de l’institut INEACEM1: l’enjeu est d’analyser l’histoire de la Corse dans un contexte méditerranéen et la mettre en lien avec les événements européens et internationaux. Ce passionné nous a ainsi livré une brève présentation de la naissance de l’indépendantisme corse contemporain. Il a rappelé que c’est « dans les années 1970 qu’un mouvement d’ampleur a vu le jour : le « Riacquistu ». Les objectifs étaient une réappropriation de l’histoire, de la culture et de la langue, suite aux graves difficultés rencontrées par les Corses à la sortie des guerres du XXe siècle ». Après nous avoir expliqué certains des événements de l’année 1975, « le 9eme congrès de l’Action Régionaliste Corse », « l’occupation de la cave Depeille » et surtout « l’envoi de l’armée par le ministre de l’intérieur Poniotowski en réponse à cela », il rappelle que c’est le 5 mai 1976 qu’est né le Front de Libération Nationale de la Corse (FLNC), « qui tire son nom du FLN algérien ». Cette affirmation laisse à penser que l’île a été colonisée et que c’est le devoir de ses habitants de s’engager vers l’indépendance. Alexis est corse mais non-favorable à l’indépendance. Il nous a alors présenté un point de vue bien différent sur la question : « le FLNC s’est comparé au FLN algérien. Je ne suis pas d’accord avec cela : les Algériens ont été les victimes d’une véritable colonisation et d’injustices. La loi ne leur a pas donné les mêmes droits que les Français qui sont venus s’installer dans leur pays. Dans cette optique-là, on ne peut pas dire qu’il y a une colonisation en Corse et une inégalité entre un citoyen de l’île et un d’une autre région de France métropolitaine. Et cela change totalement la nature des demandes indépendantistes ».


Pierre-Paul affirme alors que « nous sommes les enfants de cette histoire douloureuse ». Il est bien évidemment conscient qu’« aujourd’hui la situation est différente, le FLNC a déposé les armes afin que la volonté démocratique puisse s’exprimer librement. Nos aînés ont vécu cette histoire et désormais une nouvelle page s’écrit. Nous en sommes ensemble les auteurs. Ils connaissent les erreurs et les pièges. Il est de notre devoir de les écouter afin d’émanciper véritablement notre pays ». Sur la question de l’engagement des jeunes dans le mouvement indépendantiste, Louis, étudiant à Corte, ajoute que selon lui « l’avantage de notre génération est que nous sommes plus nombreux qu’avant à se mobiliser et à partager cet idéal, ce qui permettra plus tard, je l’espère, de voir renaître la nation Corse ».


A l’origine de leur prise de position il y a, selon les mots de Pierre-Paul, « le cercle familial qui a joué un rôle moteur dans la construction de mon idéologie indépendantiste ». Ils tiennent cependant tous les deux à préciser que ce n’est pas le facteur central. Louis nous dit qu’ « il y a mes lectures personnelles, et toutes les injustices dont j’entendais parler qui ont poussé ma réflexion au plus haut. Je me suis intéressé très jeune à la politique et c’est ma première lecture, le livre vert (petit manifeste écrit par le FLNC en 1977) qui m’a fait adhérer au nationalisme corse ». Pierre-Paul mentionne aussi l’apport de son cursus universitaire en histoire dans sa réflexion : « j’ai appris et compris que cette idée de construction d’une Nation libre et indépendante nous vient de loin. La Corse a été une Nation indépendante de 1735 à 1769 puis de 1794 à 1796. C’est le fil de notre histoire qui nous montre que cela est possible et envisageable ». Alexis étudie également l’histoire, mais à Aix-en-Provence. Il dit avoir l’impression qu’à la faculté de Corte « tout semble centré sur la Corse. Tous les sujets de recherches, en histoire notamment, sont tournés vers l’île. Ainsi, on pourrait en arriver à penser que l’université de Corse forme des jeunes indépendantistes, en donnant un fondement intellectuel à leurs revendications. Ce qui serait inquiétant est que cela devienne un entre soi, que les débats restent étroits et qu’il n’y ait plus assez d’ouverture dans la réflexion ».


La sauvegarde de la culture corse est un leitmotiv dans les discours tenus par les indépendantistes. Pierre-Paul est bilingue et il « défend très fortement la langue corse car elle est le lien indispensable entre le passé et l’avenir, le pont entre les générations ». Louis, qui parle également couramment le Corse, ajoute que « la langue et la culture sont le ciment d’un peuple, il est important de les transmettre. Mais malheureusement de nos jours de moins en moins de jeunes parlent le Corse ». C’est justement le cas d’Alexis, qui nous a confié « ma famille n’a pas souhaité me transmettre la pratique de la langue. Mes parents pensaient que je devais avoir la liberté de choisir de l’apprendre, ou non. Et ce n’est pas quelque chose que je regrette. Je ne parle pas la langue mais je me sens Corse et attaché à ma région. Selon moi, la langue met des barrières, crée des frontières entre les hommes. En demandant la co-officialité du corse et du français, ils excluent ou mettent de côté une partie de la population de l’île. Je sais que les indépendantistes militent pour la liberté des peuples et des principes d’égalité. Mais avec leurs réclamations sur la sauvegarde de la langue, ils tiennent un discours plein de paradoxes : ils se disent pour l’ouverture, la liberté et créent en même temps une forme de fermeture ou d’obligation ». Plus particulièrement, sur l’importance que les Corses accordent au patrimoine Pierre-Paul tient à préciser que « la connaissance de notre histoire à travers les lieux de mémoires est d’une nécessité absolue car elle permet la formation et par-dessus tout l’émancipation intellectuelle de la jeunesse. C’est à cette dernière qu’il faut s’adresser plus spécifiquement car dans une société en perte de repère, en souffrance économique profonde, le patrimoine et le domaine culturel ont leur rôle à tenir ».


Pour Louis et Pierre-Paul, la Corse est une nation qui doit parvenir à se libérer à terme, de la tutelle de l’État français. Alexis ne partage pas cette vision : « la Corse est une région française. Pour moi, le problème ne réside pas dans la question de l’indépendance. Et ce n’est pas non plus une solution ». Il ne nie aucunement les problèmes économiques et sociaux qui existent actuellement en Corse et que le mouvement d’indépendance pointe du doigt. Alexis n’adhère pas à leur projet politique : « L’autonomie telle que les représentants corses la présentent aujourd’hui, n’est pas pour moi une solution. Mais dans une certaine mesure, je ne suis pas fermé à cette idée. En réalité, le problème est plus large. C’est la centralisation de l’État français. Toutes les régions françaises, la Corse comme les autres, devraient tendre vers cet idéal de décentralisation du pouvoir. Il faudrait créer et lutter pour un projet commun, basé sur l’égalité et la solidarité ».


Les succès électoraux sont certains. L’idée de l’autonomie puis de l’indépendance de la Corse ne fait bien entendu pas l’unanimité. Les jeunes corses ne se positionnent pas tous de la même manière sur la question. La place donnée à l’histoire, l’héritage culturel et la langue est au cœur des débats qui les divisent. En se tournant du côté de l’optimisme et contre les fractures entre les hommes, soulignons que cette jeunesse, indépendantiste ou non, réclame un changement dans la société et qu’elle est à la recherche d’un moyen pour la faire progresser.

 

1INEACEM = Institut d'Etudes Appliquées des Civilisations et des Espaces Méditerranéens


*certains prénoms ont été modifiés pour garantir l’anonymat des personnes interrogées.


Source de l'image en miniature : @ STEPHAN AGOSTINI / AFP


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