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Annabelle Bindl

Quand les cités HLM sont récupérées par la tendance

On ressort les vieux joggings Adidas qu’on assortit d’une veste vintage, et on se refait La Haine, avec une impression d’esthétique retro, mais dans un monde qui n’a pourtant pas changé. Le mythe du jeune de cité plane sur le monde de la mode, le streetwear connaît un second âge d’or et les bobos partent en vadrouille dans les banlieues HLM pour faire des photoshoot. Quel est ce monde où la misère inspire le luxe aux créateurs de mode ? « Les nouveaux riches dans les quartiers pauvres » comme dirait Loud ; ça, on le savait déjà. Sauf que maintenant, ils ne vont plus dans les anciens quartiers ouvriers du XIXe siècle, mais aux abords des cités HLM.


Toujours avec l'envie d'être dans l'avant-garde et de prévoir les tendances, les instagrameurs ou les compositeurs sont à l’affût du prochain milieu underground. Et à ce titre, les jeunes des cités (ou du moins l'image que s'en font les chineurs de tendance) sont les seuls restés à l'écart d'une hipsterisation générale. Back to the Underground, c'est d'ailleurs le nom donné en juin 2016 à une exposition de photos sur les banlieues de la capitale, au sein d'une galerie installée dans le Marais, un des quartiers les plus au centre de ce Paris artistique et privilégié.


(c) L'imprimerie

La mise en lumière des cités s'explique aussi par la règle de l'éternel retour de la mode : depuis quelques temps, les projecteurs sont tournés vers les 90's, époque du streetwear, du hiphop, et de la construction de l'image de la caillera telle qu'on se la représente aujourd’hui. Les 90's, c'est aussi l'époque de la division du bloc soviétique, avec son architecture socialiste : lignes simples et constructions rapides pour loger un maximum de gens, c'est l'esthétique que l'on peut voir aujourd’hui dans nos quartiers. Le compte Instagram Socialist Modernism qui compte à cette heure plus de 127 800 abonnés, offre une esthétisation de ces balcons tous clonés, qui semblent s'étaler de long en large, et de ces fenêtres cadrées dans le champ de la photo pour former un all-over, comme s'il était impossible pour le photographe de capturer les extrémités des bâtiments tant ils sont monumentaux.


(c) BACU


Ce minimalisme dans les lignes et les couleurs, à l'image de ces tours beiges aux couleurs passées, se retrouve également dans la mode : c'est le retour en force de marques comme Supreme, qui porte fièrement l'héritage du streetwear. D'ailleurs, en 2015 la marque a fait appel à un photographe issu des banlieues pour photographier leur nouvelle collection : Yanis Dadoum.


(c) Yanis Dadoum


On va chercher l'art dans un espace jusqu'alors complètement ignoré. C'est la consécration des claquettes-chaussettes fièrement portées par les influenceurs, ou des sneakers et chaussettes apparentes affichées par Eddy de Pretto.



Que ce soit Eddy de Pretto qui réinterprète Jul, ou Jacques, le compositeur pointu et parisien qui remet son prix du titre le plus streamé à Jul en l’honorant de compliments, la culture associée aux cités est récupérée. Paris serait-elle allée trop loin dans l'underground pour en venir à chercher l'avant-garde dans le mainstream ?

Les frontières commencent à se flouter, et les modeurs les plus influents jouent de leur ambivalence entre monde du luxe et monde des quartiers pauvres. Gregory Robert, le modèle en rose s'affiche sur les podiums et au pied des tours avec la même désinvolture.




(c) gogolupin




Quant au collectif techno Contrefaçon, il prend le métro pour rejoindre la banlieue où se déroulent les nouvelles soirées, dans son clip Aviv.






Voilà le paradoxe de la réutilisation d'une tendance où la misère des uns fait le « cool » des autres. D'ici aux observateurs sociaux du XIXe siècle qui venaient étudier les ouvriers pauvres dans leur milieu naturel, il n'y a qu'un pas. Alors, instrumentalisation ou mise en lumière d'une partie de la population tant délaissée ? Quoi qu'il en soit, le phénomène prend de l'ampleur et s'affiche dans des clips à 57 millions de vues. Bientôt, la banlieue sera trop mainstream.





Annabelle Bindl

image de couverture : (c) eddy de pretto


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