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  • Pauline Scié

Quand l'union fait la force

L'union fait la force : ferveur populaire lors de compétitions internationales

Dimanche 10 juin 2018, TF1 diffusait un documentaire sur le Mondial 1998, « 98, les secrets d'une victoire » qui a réuni plus de 4 796 000 téléspectateurs. Le match de la France 98 retransmis mardi 12 juin a regroupé 5.97 millions de téléspectateurs. Deux événements footballistiques, deux très gros scores d'audiences. Face à ce phénomène, PEPA s'est questionné sur ce vingtenaire beaucoup fêté, et, plus largement, sur l'engouement que suscitent victoires et défaites dans un pays lors des compétitions internationales. Les championnats, semblables parfois à des batailles, permettent d'être ensemble pour célébrer. C'est aussi, pour certains, un moyen de séduire en montrant comment les hommes politiques peuvent être proche de tous. Ce rapprochement passe par le support de la même équipe, la même passion, ou le même maillot. Bien plus que du sport, les compétitions internationales deviennent alors le théâtre de véritables enjeux sociaux et politiques.



Le football, activité physique comptant le plus de licenciés en France (plus de 2 millions), est désigné dans de nombreux pays comme le sport national. Malgré d'autres compétitions nationales qui rassemblent familles, amis, passionnés et amateurs (Jeux Olympiques, Coupe du monde de Rugby, ou le Tour de France), le Mondial de Football est l'un de ceux qui a le plus de retentissement : publicités, articles dérivés, une des journaux, documentaires, etc.

Le sport crée un sentiment d'appartenance. Dans le sport d'équipes la cohésion et le partage sont des valeurs, forcément, prônées. Mais aussi dans n'importe quelle activité physique, pratiquée ou regardée. Christine Detrez, auteure de La construction sociale du corps, explique ainsi que dans notre société le seuil de tolérance face à la violence a évolué. Mais que l'intériorisation des contraintes, plus généralement des sentiments, a des effets pervers. Pour y pallier, les Hommes trouvent des moments de repos, la pratique sportive apparaît comme l'un d'eux. Malgré l'autocontrôle et les obligations liées au sport de haut niveau, son déroulement permet d'exprimer la tension et l'excitation. Le spectacle permet de mettre en jeu « des simulacres d'affrontement dans un cadre imaginaire, d'exprimer les pulsions et les tensions que la société et l'être humain, soumis à son conditionnement refrènent dans la vie quotidienne ». Le sport permettrait alors à tous de se rassembler pour exprimer nos plus profondes émotions : la joie, la tristesse, l'agressivité, et la colère en premier lieu.

Quant à savoir pourquoi le football est si populaire, certains diront qu'il est le sport le plus simple à pratiquer : il suffit de posséder un ballon (ou du moins quelque chose qui roule) et... c'est assez. Pour faire des cages, des poteaux, des pulls ou des sacs sont suffisants. Le terrain peut être couvert de béton, d'herbe ou de sable, cela importe peu. La simplicité de la mise en place de ce jeu est ainsi favorable au rassemblement.



L'union se fait sur le terrain, et dans les gradins. Les stades et les tribunes sont des lieux d'unité, tout comme la rue, un bar ou un salon qui deviennent lors de retransmissions de compétitions des lieux prisés. Pour les supporters fidèles et les passionnés du ballon rond, chaque match a un potentiel émotionnel fort. Mais lors de tournois, où entre en jeu une équipe nationale, des gens, parfois, étrangers à cette discipline se retrouvent inquiets des résultats fournis par leurs représentants. Ainsi, lors de la Coupe du Monde, une certaine ferveur s'installe autour des joueurs. Et plus une équipe progresse, plus le soutien suit.

Ces compétitions jouent sur la fibre patriotique. L'équipe représente le pays, on voit en eux des ambassadeurs de notre succès ou de notre défaite. Par fierté la victoire est envisageable. L'égo est l'une des premières raisons d'identification. Quel plus évident exemple que le traditionnel « On a gagné » après la victoire de l'équipe soutenue ? Comme si l'effort fourni était élargi aux spectateurs.

Il existe aussi l'idée que le spectateur a un rôle, il peut influencer le jeu : en encourageant son équipe, se déplaçant pour les rencontres, ou en invectivant l'arbitre depuis les tribunes. L'amour du jeu, le spectacle qu'offrent les sportifs, la dimension ludique, et tout ce que cela implique, expliquent les chiffres impressionnants qui accompagnent les rediffusions des événements sportifs.

Comme dans toutes les activités, le sport véhicule des valeurs précises : le collectif, le mérite, le talent, le travail sont les premières citées. On plébiscite un joueur qui arrive à incarner le plus d'idéaux et a le plus de réussite. On cherche souvent à trouver la perle rare, celui qui est l'élu et qui pourra mener toute une équipe à la victoire. Un peu à l'image de Ronaldo pour le Portugal, de l'espoir que représentait Messi pour l'Argentine. Ou bien encore Griezmann que l'on cite volontiers pour la France.

En se retrouvant devant un match, l'effet recherché est le même que dans tout loisir. L'appartenance à un groupe, le partage, la discussion, la célébration. Dans des contextes politiques tendus, ces moments de sociabilité sont des parenthèses appréciables. Le spectacle permet d'oublier les préoccupations quotidiennes. Les politiques et l’État profite d'ailleurs souvent de ces succès pour les récupérer. Après la victoire du 12 juillet 1998, le phénomène Black-Blanc-Beur a beaucoup été repris dans tout le paysage médiatique et politique français. Symbole d'union, d'une nouvelle France, le succès sportif était l'étendard du brassage.

Ces événements permettent à tous de se réapproprier l'espace public parfois perçu comme étranger ou inquiétant. Les foules se rencontrent dans des bars, dans la rue, ou bien dans des fan-zones érigées momentanément. Des drapeaux ornent les fenêtres, les vitrines sont parées d'habits de fête qui ne demande qu'à gagner en puissance.

Enfin, la victoire est envisagée comme un bon présage. Elle est synonyme d'un avenir fructueux, d'espoir et de fierté. En supportant toute une équipe, un pays se retrouve et partage le temps d'un match, d'un soir, d'un instant les mêmes frissons, et la même joie. Au contraire, la défaite est le signe d'un dysfonctionnement.



De nombreuses autres raisons peuvent venir expliquer l'implication d'une population dans une compétition internationale. De l'engouement que chacun peut être amené à éprouver sans être passionné ou même intéressé par le sport. Mais ce sentiment n'est pas éternel, et bien souvent après le coup de sifflet final, les masques tombent.


Après quelques années tumultueuses entre le public français et sa sélection nationale, l'Euro 2016 a été le centre des toutes les attentions. Compétition qui se déroulait en France, parcours inspirant de ceux qui sont allés jusqu'en finale. Et quand certains se félicitent du cheminement construit match après match, des voix s'élèvent pour alerter les Français sur ce qui se passe en coulisse : débat et vote de la loi travail.

Tweet du 10 juillet 2016 du chroniqueur Bonjour Tristesse


En France, l'histoire du football et de l'amour du public fluctue selon les saisons. L'événement marquant de ce récit : la victoire du 12 juillet 1998. Date inoubliable pour ceux qui l'ont vécu. Moment de liesse phénoménale. Des témoignages ne cessent de rapporter les mouvements de foule et d'union ayant suivi cette victoire. Autour d'un rêve inaccessible se crée un mythe. Après la défaite en demi-finale de l'Euro 1996, l'équipe de France est décriée. La victoire, deux ans plus tard, est due à une nouvelle identité, à la force de cette équipe : le métissage. Commence une récupération politique quand résonnent dans tous les esprits cette idée, que la France est Black-Blanc-Beur. Les mots sont tordus ou inventés, réutilisés ou dénaturés, mais les Français se reconnaissent dans cette nouvelle devise, ou du moins essayent. Après le triomphe lors de l'Euro 2000, les Bleus sont intouchables. Mais la période de grâce prend fin. Les matchs s'enchaînent et l'équipe s'enlise. De ces héros on attend plus. On leur demande plus comme lors du match France-Algérie de 2002 qui se doit d'apaiser les consciences. L'osmose espérée par des dirigeants n'existe pas, la rencontre se termine sans avoir été finie. Dans un climat de peur mondiale on cherche du réconfort partout, mais l'équipe de France n'arrive plus à rassembler. Face à la victoire du métissage de 1998, la crise de Knysna en 2010 illustre les fractures françaises. On ne parle plus de leurs exploits, seul leurs émules intéressent. Après avoir été des gagnants, la défaite appelle à les faire devenir des « caïds immatures »(1) . Tout est à reconstruire. Les sélectionneurs ne sont pas à la hauteur. L'équipe de France n'est plus. Le public ne la suit plus. Des moments de doutes s'enchaînent, des polémiques viennent aggraver les fragilités. La période de renouveau commence dans un premier temps avec l'arrivée de Deschamps. Mais c'est grâce à l'Euro 2016 que le public renoue durablement avec son équipe.

Le foot est une histoire de symbole : des dates, des événements, des joueurs marquent son histoire. Les spectateurs se raccrochent parfois à des temps passés magnifiés. Mais le plaisir furtif, la passion commune, les moments d'unités partagés qui apprennent à un pays à vivre ensemble devraient être les piliers du spectacle. Parfois plus qu'un sport, le foot est l'occasion de se positionner politiquement. Il devient un objet investi de valeurs positives un jour, pour être le lendemain un symptôme, ou la cause, des maux de notre société.



Face à ce début de mondial des Bleus plutôt encourageant puisqu'ils sortent premier de leur poule et qualifiés pour les quarts de finale, de nombreuses voix se sont déjà élevées pour mettre en garde contre tous les manques et maladresses de ces joueurs. Tous sont prêt à encenser cette équipe issue d'un mixte de générations mais à chaque match les critiques sont fortes. De l'amour à la haine il n'y a qu'un pas que les différentes équipes des tricolores ont déjà pu expérimenter. Comment ce mondial va-t-il marquer l'histoire du football ? Quelle place et quelles erreurs le public français est-il prêt à laisser, et à pardonner à ses joueurs fétiches ? Rien n'est écrit dans le marbre. De futurs héros et jeunes prodiges cette équipe pourrait tout aussi bien devenir une nouvelle vague de caïds. Ou au contraire, comme pour satisfaire un schéma tracé dans les esprits, le vingtenaire pourrait être auréolé d'une nouvelle étoile.


 

(1) Extrait du discours tenu par Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et des Sports le 23 juin 2010 à l'Assemblée Nationale : « Jamais le gouvernement n’aurait dû avoir à s’occuper de la coupe du monde de football. Car c’est la responsabilité de la FFF. Je ne peux que constater comme vous le désastre avec une équipe de France où des caïds immatures commandent à des gamins apeurés. Un coach désemparé et sans autorité. Une fédération française de football aux abois. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a décidé de prendre toutes ses responsabilités. »

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